L'Association des magistrats menace de recourir à la rue si le ministre de la Justice ne répond pas à ses revendications. Par la voix de son porte-parole, Mohamed Bakhtaoui, ancien magistrat de la cour d'Oran, membre fondateur du Syndicat des magistrats, elle réclame la réintégration des 53 juges sur les 311 ayant fait l'objet de sanctions «injustifiées» depuis l'année 2000. Créée à Alger il y a plus d'une année, l'Association des magistrats injustement révoqués (AMIR) vient d'interpeller le ministre de la Justice, Mohamed Charfi, sur le traitement accordé au dossier des 311 magistrats sanctionnés «illégalement», dont 53 devaient être réintégrés. Lors d'une conférence de presse animée hier à Alger, son porte-parole, Mohamed Bakhtaoui, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Il commence par évoquer les démarches entreprises par son organisation pour «la dignité des juges victimes de décisions iniques» prises durant le mandat de Tayeb Belaïz. «Etant le premier responsable de ces décisions, j'ai tout fait pour saisir le Président directement. Une lettre détaillée lui a été remise par un de ses conseillers, lequel m'a demandé de rédiger un rapport sur mon cas. Ce que j'ai fait. Quelques jours plus tard, le Président a mis en place une commission pour enquêter sur tous les cas de magistrats révoqués entre 1999 et 2012 et a entamé son travail le 15 septembre 2012. Sur les 311 juges révoqués recensés par l'association, 53 devaient être réintégrés. Tayeb Belaïz a tout fait pour bloquer la démarche. J'ai alors saisi le président de la République. L'ex-ministre a été muté ailleurs. Pour nous, c'était une délivrance», explique Mohamed Bakhtaoui. Cependant, l'arrivée de Mohamed Charfi n'a pas réglé le problème. «Une demande d'audience lui a été transmise, en vain. J'ai su par la suite qu'il devait tenir une réunion avec le Président pour les suites à donner à notre dossier. De report en report, elle n'a pu se tenir que le 28 février dernier. Selon nos sources, durant cette rencontre, le dossier n'a été évoqué ni par le Président ni par le ministre», affirme M. Bakhtaoui, avant de poursuivre : «Je ne pense pas que nous puissions continuer à attendre aussi longtemps. Les victimes de révocation ont trop attendu. Au sein de l'association, tout le monde est d'accord pour passer à des actions de rue. Toutes les organisations qui ont utilisé ce moyen ont eu gain de cause. Nous avons retenu le principe d'un sit-in devant la présidence de la République. Une assemblée générale aura lieu incessamment et devra statuer sur la date.» M. Bakhtaoui note : «La révocation n'est pas uniquement ce qui est considéré comme tel, ou encore une radiation. Il s'agit aussi des décisions de mise à la retraite anticipée ou d'office et de mise à fin de fonction qui sont toutes des révocations qui ne disent pas leur nom.» Il rappelle que le principe d'indépendance de la justice consacré par la Constitution n'a jamais été appliqué sur le terrain. Depuis deux décennies, di-il, tous les ministres qui se sont succédé à la tête du secteur «ont marqué au fer» leur passage. «Il y a eu Mohamed Adami et ses frasques, puis Ouyahia que moi-même j'ai subi puisque ma révocation en 2001 était liée à une affaire que j'ai traitée en 1997 à Oran, relative au détournement d'un bien foncier par des personnalités politiques, dont des responsables du RND. En 1999, les mis en cause ont juré de se venger. Ils sont partis voir Ouyahia, dès son installation en tant que ministre de la Justice, et en 2001 le même dossier a été exhumé et j'ai été révoqué pour, tenez-vous bien, avoir mal géré l'affaire. A l'époque, la composante du CSM n'était pas représentative !» Et d'ajouter : «Lorsque j'ai reçu la convocation à Oran, j'ai été déjà informé de ma révocation, avant même que la décision ne soit prise. De nombreux autres juges ont vécu la même dérive. Les magistrats étaient sanctionnés sans avoir le droit de se défendre. M. Belaïz a aussi laissé son empreinte. Déjà lorsqu'il était à la cour d'Oran, il cherchait toujours des noises aux juges qu'il surveillait à la loupe. 80% des sanctions prises entre 2005 et 2011 sont liées à des erreurs d'ordre professionnel souvent mineures, qui auraient pu faire l'objet d'une simple mutation ou, dans le pire des cas, de rétrogradation.»