Une commission rogatoire internationale en l'absence d'une demande préalable d'entraide judiciaire, est-ce possible ? Dans son communiqué du 7 mars 2013, le parquet d'Alger a indiqué que «le juge d'instruction a eu à délivrer plusieurs commissions rogatoires internationales à destination des autorités judiciaires suisses, italiennes et émiraties», là où a pu être décelée la présence de forts soupçons de corruption liés au nouveau scandale Sonatrach. A la question de savoir si l'Algérie avait sollicité l'entraide judiciaire auprès de la Confédération suisse au sujet de l'affaire Sonatrach-Saipem (ENI)-SNC Lavalin, Mme Ingrid Ryser de l'Office Fédéral de la Justice (OFJ) suisse nous a répondu : «L'office fédéral de la justice (OFJ) n'a pas reçu une demande d'entraide du ministère de la justice algérien concernant les sociétés mentionnées». Notons dans ce contexte que le 3 juin 2006, le gouvernement de la confédération suisse et son homologue algérien avaient conclu un accord bilatéral d'entraide judiciaire en matière pénale concernant les seuls chapitres ; obtention de preuves et notifications. Or, d'après maître Abderrahmane Boutamine, avocat du barreau d'Annaba, ayant plaidé pour le compte du général Khaled Nezzar dans le cadre de l'affaire dont il est poursuivi en Suisse, «l'absence de demande d'entraide judiciaire aux autorités judiciaires étrangères à propos d'un dossier bien déterminé signifie qu'il n' y a pas eu de demande concernant les procédures entrant dans le cadre de l'entraide judiciaire telles que définies par les article 694 et suivants du Code de Procédures Pénales (CCP). Ces procédures portent sur l'extradition, les commissions rogatoires, la notification des actes ou des jugements et la communication de pièces ou de documents», car, explique-t-il, «l'entraide judiciaire couvre dans le cadre des rapports avec les autorités judiciaires étrangères les questions relatives aux extraditions, commission rogatoire, notification d'un acte/un jugement et enfin à la communication de pièces/ documents.» Toujours selon lui, les commissions rogatoires sont délivrées/reçues par la voie diplomatique. La procédure risque, à ce titre, de durer des mois avant que la demande ne puisse parvenir aux autorités judiciaires étrangères sollicitées. Comment peut-on dans ce cas parler de commission rogatoire du côté algérien et de l'absence de demande d'entraide judiciaire de celui suisse ? Pour Me Boutamine, un habitué des grands procès politico-économiques, «à cela une explication probable : à l'heure où la représentante de l'OFJ vous a fait cette déclaration importante, la demande d'entraide judiciaire émanant des autorités algériennes pourrait ne pas avoir encore été reçue.» Aussi, soulignera t-il dans la foulée, toute commission rogatoire internationale est soumise au principe de la réciprocité, son acceptation/exécution étant, quant à elle, subordonnée à la justification de l'existence d'une procédure judiciaire. Son confrère, Me Messaoud Mentri, docteur en droit international et professeur d'universités, explique, pour sa part, que «dans les affaires où il est question de délits de niveau suprême ou de grands crimes tels que le terrorisme, le trafic de stupéfiants, la corruption ou le blanchiment d'argent, la coopération judiciaire interétatique est automatique. Il n'est donc pas nécessaire que les pays soient au préalable liés par un accord d'entraide judiciaire. Comme ils ne sont pas tenus de mettre ce dernier, s'il existe, en branle pour une coopération inter-autorités judiciaires.» Omerta et impunité ! En termes relatifs, Jeannette Balmer, porte-parole du ministère public de la Confédération (MPC), n'a rien laissé filtrer sur la nature de la coopération algéro-suisse dans le cadre de l'affaire Sonatrach 2, où sont également impliqués le N°1 canadien de l'ingénierie SNC Lavalin et le pétrolier italien ENI. Si à propos des questions se rapportant à ces deux derniers la responsable fédérale a été généreuse en déclarations, «dans l'affaire italienne, le ministère public de la Confédération (MPC) est chargé dans ce contexte de l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire émanant de l'Italie. Au titre de l'entraide judiciaire, la Police fédérale de la justice (PJF) a exécuté sur mandat du MPC des opérations de récolte de moyens de preuve en Suisse…. dans le cadre de l'affaire suisse en rapport avec SNC Lavalin, le MPC a demandé l'entraide judiciaire aux autorités canadiennes qui ont répondu positivement», lorsqu'est évoqué le mot «Algérie», Mme Balmer s'est montrée peu bavarde. Interrogée sur l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en Suisse dont feraient l'objet Farid Bedjaoui ou autres personnalités algériennes, notre interlocutrice se contentera d'affirmer : «La personne en question ne fait pas l'objet d'une poursuite de la part du ministère public de la Confédération», insistant au passage que «le travail du MPC est soumis au secret de fonction. Ce qui nous empêcherait de toute façon de répondre à de telles questions, respectivement de révéler l'identité de possibles personnes concernées par une instruction pénale.» Pourtant, ce sont bien les autorités suisses qui enquêtent depuis mai 2011 sur l'affaire liée à des opérations de corruption dans lesquelles auraient trempé SNC Lavalin et la filiale Saïpem (ENI), suspectant Farid Bedjaoui d'y avoir joué un rôle clé, en servant d'intermédiaire pour leur permettre d'obtenir de juteux contrats auprès de Sonatrach. Mieux, début février dernier, des suisses étaient parmi l'équipe d'enquêteurs ayant passé au peigne fin l'appartement parisien du «conseiller financier» de Chakib Khelil ainsi que la banque suisse EFG. En somme, face à tout ce qui se dit çà et là, à l'avalanche de révélations troublantes et aux montants faramineux lâchés, la question que d'aucuns se posent aujourd'hui est : Chakib Khelil, le maillon fort de la chaîne Sonatrach, Saipem-SNC Lavalin et tous ceux directement ou indirectement impliqués, auront-ils un jour à répondre de leurs actes devant la justice algérienne ? «Si les faits qui leur sont reprochés constituent des présomptions ou charges suffisantes aux yeux de la loi, force doit rester à la loi et ils devraient comparaître comme tout justiciable avec la garantie de la loi», assurera Me Boutamine ; autrement, notera-il, «on sera en droit de dire qu'il y a deux justices selon que vous soyez puissants ou misérables». Et de conclure : «la condition pour la réalisation du principe constitutionnel de l'égalité de tous devant la loi, c'est la réelle indépendance de la justice.»