Lyndon Johnson, ancien président américain, avait coutume de rappeler que deux choses sont inévitables dans la vie : la mort et les taxes. S'il est incontournable de prélever des taxes sur les citoyens et les entreprises, il est davantage indispensable de le faire méthodiquement et selon une doctrine bien définie. Notre conception du rôle du système fiscal détermine in fine sa contribution au processus d'enracinement du développement. Un système fiscal bien conçu peut promouvoir le bien-être et la prospérité générale. Mal orienté, il peut provoquer des nuisances bien au-delà de ce que peut imaginer un citoyen moyen. Ibn Khaldoun montra à travers ses analyses que la plupart des grandes civilisations de ce monde avaient fini par s'autodétruire par une mauvaise configuration du système de taxes. Lorsque le poids des dépenses, surtout des armées, devient trop lourd pour la base économique, les dirigeants, se croyant malins, augmentent la pression fiscale. Cette dernière induit la paresse et la fuite des entreprises et des personnes les plus performantes sous d'autres contrées. La chute de la productivité réduit les recettes des Etats qui réagissent en augmentant les taux de prélèvement. Un cercle vicieux est initié. Ce dernier finira par engloutir le système économique global. Les objectifs d'un système fiscal La difficulté du management d'un système fiscal réside dans la pluralité de ses objectifs. On lui affecte de nombreux buts dont certains peuvent se positionner parfois comme non alignés ou contraires. Ainsi, il doit pouvoir dégager les recettes pour financer les ambitions de l'Etat qui, parfois, sont démesurées par rapport aux ressources. On attend de lui qu'il réalise une meilleure répartition des revenus et qu'il joue le rôle de régulateur social. Mais pour asseoir toutes ses ambitions, il faut se situer à niveau qui permette aux entreprises du pays d'être compétitifs sur le plan régional et mondial. Trop d'attentes pour un secteur qui, lui-même, subit de nombreux aléas, notamment celui des cycles macroéconomiques des pays. Car on espère également que le système fiscal contribue à réguler l'activité macroéconomique : accroître les taxes pour absorber les excès de liquidités en période d'inflation et réduire les taux d'imposition lorsque l'activité économique est morose, créant des récessions et du chômage. Nous avons besoin d'une doctrine qui guide les actions du long terme. Pour cela, il nous faut établir des priorités. La plus urgente demeure de développer une économie productive efficiente hors hydrocarbure. Tous nos maux proviennent de notre incapacité à réaliser cet objectif. Nos problèmes de chômage, de faible croissance, de maux sociaux proviennent en grande partie de l'inexistence d'un secteur productif conforme à la taille et aux ressources de notre pays. Nous avons trois fois moins de grandes, moyennes et petites entreprises qu'il nous faut, relativement à notre population et à notre économie. Si ce problème venait à être progressivement réglé, nous aurions alors beaucoup de latitude pour solutionner les autres. L'outil fiscal devrait être surtout orienté à cette fin. Les différentes organisations patronales ont raison de réclamer une réduction de la pression fiscale. C'est l'outil le plus puissant et l'instrument incitatif idoine pour pallier cette grave insuffisance. Il y a de nombreux autres instruments qu'il faut faire jouer en même temps (foncier, services administratifs, crédits bancaires, etc.). Mais l'outil fiscal demeure un signal fort pour absorber une grande partie de l'informel et élargir la base de l'assiette fiscale. Pour cela, l'expression «il faut mettre l'entreprise au cœur des politiques économiques» est exactement ce qu'il convient de faire. Faut-il changer de cap ? Les dernières lois de Finances n'ont pas produit de grands changements en matière de politique fiscale. Nous continuons à trop dépendre de la fiscalité pétrolière qui se situerait entre 70 et 75% des prélèvements globaux. Selon la plupart des études dont nous disposons la pression fiscale algérienne est trop lourde, comparativement aux pays voisins ou à la moyenne mondiale. Plusieurs thèses académiques ou des analyses comparatives de nombreux cabinets d'études pointent du doigt ce problème. Nous nous situons parmi les pays qui taxent le plus l'outil productif et les revenus salariaux. Mais au vu des recettes trop insuffisantes dégagées par le secteur productif (25%), les décideurs seraient incités à garder la même structure de taxes. Sommes-nous engloutis par le cercle vicieux décrit par Ibn Khaldoun ? En tout état de cause, nous avons intérêt à réviser notre doctrine fiscale. Pour une raison simple : les perspectives à moyen et à long terme de nos recettes énergétiques sont très mauvaises. Les énergies de schiste ne manqueront sûrement pas de réduire à la baisse nos recettes. Nous avons juste un peu de répit pour pratiquer des politiques de substitution à l'importation et créer les industries du futur. Certains pays étaient dans une situation similaire il y a une vingtaine d'année. La Malaisie et l'Indonésie ont cessé d'être exportatrices de pétrole. Mais une dizaine d'années avant la réduction drastique de leurs exportations, ces pays avaient mis un vaste chantier de développement interne qui a procédé à la substitution aux importations et au développement de plusieurs industries exportatrices. Ils sont arrivés à temps à créer une industrie hors hydrocarbures. C'est le défi qui nous attend. L'outil fiscal n'est pas seulement la responsabilité de l'administration fiscale. D'ailleurs, cette dernière ne fait qu'appliquer la volonté des décideurs. Nous avons donc besoin d'une consultation large entre opérateurs économiques, syndicalistes, experts et décideurs pour moderniser l'outil fiscal. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine. Probablement éliminer la TAP et la remplacer par autre chose moins pénalisant pour les entreprises. Nous devons également revoir les prélèvements sociaux qui sont actuellement beaucoup trop lourds pour un secteur productif si fragile. Décentraliser le développement (local, régional) nécessite de reconsidérer le vecteur de taxes pour permettre aux régions dynamiques de se développer en dehors d'une centralisation excessive.Les doubles impositions (IBS) sont à bannir. Le défi de la politique fiscale serait d'élargir l'assiette et réduire la pression fiscale. Ceci pourrait créer des problèmes à court terme (les deux ou trois prochaines années) mais régler définitivement le problème de la création d'une économie productive hors hydrocarbure. Car il ne nous reste que la décennie de la dernière chance.