Le système fonctionne sur la rente, la prédation et l'utilisation de la rente. C'est à ce niveau-là que se situe le blocage. Or, nous constatons depuis 2006 une baisse tendancielle de la production d'hydrocarbures et une augmentation importante de la consommation interne d'énergie. Ce qui fait que le différentiel qui va vers l'exportation va s'amenuiser pour arriver à une situation assez difficile vers 2018-2020», a soutenu Ahmed Benbitour, ancien chef de gouvernement, lors des rencontres d'El Watan. Il a rappelé la règle d'or des années 1970 qui consistait à épargner la fiscalité pétrolière. «Une fiscalité laissée pour le budget d'équipement ou orientée vers les entreprises publiques dans le cadre de l'investissement pour le montage des usines industrielles. Depuis, nous avons perdu cette règle d'or et avons commencé à utiliser de façon importante la fiscalité pétrolière dans le budget de fonctionnement», a-t-il appuyé. L'ancien ministre des Finances a fait une petite simulation : en 2009, sur chaque équivalent de baril exporté (moyenne pondérée entre le gaz et le pétrole), 28,5 dollars allaient vers le budget de fonctionnement, 38 dollars en 2010, 70 dollars en 2011. «Cela veut dire que si le prix du baril baissait au-dessous de 70 dollars, on n'aurait plus un seul dinar pour le budget d'équipement. Donc, à côté de la défaillance de l'Etat et de la corruption généralisée, il y a aussi cette source qui va se réduire. Nous allons donc connaître une situation d'explosion si le système de gouvernance restait tel qu'il est, au plus tard vers 2018. Mais cela peut arriver à n'importe quel moment !», a-t-il prévenu. «Le pire qui pourrait nous arriver est que nous ayons un cumul de malédictions. Imaginez qu'il y ait une baisse du prix du pétrole, une explosion de la violence à l'intérieur du pays, de l'insécurité à l'extérieur… Dans quel état serait le pays ? J'ai l'impression qu'il y a un manque de responsabilité totale sur le devenir du pays», a relevé le futur candidat à l'élection présidentielle. Il a expliqué que les devises du pétrole exporté vont à la Banque d'Algérie. «Malédiction» La société qui exporte, Sonatrach, reçoit ses recettes en dinars. «Dans ces dinars, il y a de 75 à 85% de fiscalité pétrolière, payée sur la facture immédiatement. Il est vrai que pour les réserves de change, nous avons pour quatre années d'importations. Nous importons en valeur pour 50 milliards de dollars en marchandises et autour de 14 milliards de dollars en services. Le fond de régulation des recettes fonctionne en dinars. Il ne peut pas tenir plus de deux ans. Et c'est là qu'il y a problème, le gouvernement fonctionne avec le dinar pour la fiscalité pétrolière et non pas avec la devise», a souligné Ahmed Benbitour. Il a accusé le pouvoir de vouloir utiliser la rente pétrolière et gazière pour acheter qui il veut. «La situation en 2013 n'est pas celle des années 1970 ou 1980. Nous avons une baisse de la production d'hydrocarbures. Certains puits de pétrole ont plus de cinquante ans d'existence. Nous allons de plus en plus vers la dépendance des hydrocarbures. C'est ce qu'on appelle ‘‘la malédiction des ressources''», a-t-il noté. Ahmed Benbitour a cité quatre modèles d'utilisation des ressources. Le premier, idéal, selon lui, est celui de la Norvège. Un pays où la rente est épargnée pour les générations futures. Le deuxième est celui du Qatar. «Le Qatar utilise la rente pour vendre une image qui fait que le pays paraît plus puissant qu'il n'est réellement. Qatar Airways est la deuxième compagnie aérienne au monde. Le gouvernement paye des billets d'avion pour les conférences et les congrès qu'il organise. Le troisième modèle est celui de l'Algérie où la rente sert à acheter la paix sociale. Le quatrième modèle est celui de la RDC, République démocratique du Congo, où la rente finance la guerre. L'Algérie a aujourd'hui toutes les caractéristiques d'un Etat défaillant, avec des critères scientifiques. Si ça continue, on sera dans la situation de la RDC», a-t-il prévenu. «Le niveau de développement actuel n'est pas compatible avec les ressources naturelles et humaines du pays», a-t-il repris. Absence de vision Soufiane Djillali a plaidé, pour sa part, pour un véritable projet de société aux fins de mieux utiliser les avoirs du pays. «Gagner de l'argent nécessite de l'instruction, en dépenser nécessite une culture. Or, le problème est psychologique et mental avant d'être technique. Il n'y a pas de vision. Depuis plus de dix ans, les Algériens ont désappris à travailler. Nous n'intégrons plus les valeurs importantes, comme le sens de la responsabilité, de l'effort et du temps. On veut rapidement acheter une villa, une belle voiture, avoir de la devise et voyager. Qui en est responsable ? La société qui produit ces comportements ? Ou bien s'agit-il d'une politique générale menée depuis longtemps ? C'est là où le pétrole est devenu une malédiction», a relevé le leader de Jil El Jadid. Selon lui, les gouvernants ne savent pas où mener l'Algérie. «Ils n'ont pas d'idéal pour ce pays. Ils ont un idéal pour leur personne. Ils ont des rêves pour eux-mêmes, pas pour l'Algérie. Les Algériens ont besoin de dirigeants qui leur proposent un rêve collectif. Les années à venir seront difficiles. Il faut remettre tout le pays au travail. Les Algériens doivent s'impliquer collectivement pour s'en sortir individuellement. Or, le pouvoir a tout fait pour désarticuler la société et la diviser intérieurement», a-t-il soutenu. Selon lui, le pouvoir a désarmé la société et l'opposition pour éviter l'émergence d'une force qui se liguera contre lui. «Le pouvoir a empêché la formation de groupes de pression populaire, des syndicats, des associations. Il a joué de la corruption. La corruption est en bonne partie organisée. Le laxisme est complice», a-t-il soutenu. Peur de l'information Evoquant la question du chômage, Ahmed Benbitour a estimé nécessaire de réfléchir à l'avenir des 1,5 million d'étudiants. «Que va-t-on faire de ces étudiants, s'il n'y a pas un sérieux programme de relance économique basé sur le secteur productif compétitif. Aujourd'hui, nous n'avons presque plus d'investissements dans ce secteur, comment peut-on créer de l'emploi ? Nous faisons de l'importation d'infrastructures, ce n'est pas de l'investissement. Il s'agit d'un bâtiment qui fait travailler les autres, pas les nôtres. Nous n'avons pas de politique sérieuse de création d'emplois, a-t-il noté, dotée de tous les instruments.» Ahmed Benbitour propose de créer quinze grandes régions économiques avec un «programme de développement local et régional». Selon lui, il est important de promouvoir les compétences nationales et de maîtriser la numérisation. «On doit entrer dans ce domaine. Ce n'est pas difficile. Le Costa Rica, petit pays, est parmi les trente premiers pays exportateurs de high-tech au monde», a-t-il appuyé. Le leader de Jil El Jadid a, pour sa part, souligné que le pouvoir algérien a toujours eu peur de l'information. «Le pouvoir a un logiciel formaté. Il était déjà difficile d'installer les antennes paraboliques dans les années 1980. Aujourd'hui, les Algériens ont accès à des centaines de chaînes de télévision et à internet. Que le pouvoir lance la 3G ou pas, l'accès est là. Il retarde pour embêter les gens ! Le développement du pays exige des efforts et du travail de la part des responsables. Or, nos responsables ne sont pas en situation de travailler. Ils ne veulent pas fournir d'efforts, travailler jusqu'à minuit, préparer les dossiers, connaître les chiffres, se battre pour avoir les meilleurs marchés…tout cela c'est trop d'efforts pour eux. Ils n'ont pas envie de cela», a observé Soufiane Djillali. Ahmed Benbitour s'est interrogé, de son côté, sur l'absence de réunions du Conseil des ministres. «Comment voulez-vous alors que les décisions soient prises ? Pour la 3G ou pour autre chose», s'est-il demandé avec ironie.