Déplacements forcés, viols, assassinats… En un an, 250 Birmans musulmans sont morts dans des violences ethniques et religieuses. Mosquées détruites, maisons brûlées, magasins vandalisés… Les persécutions sont quotidiennes, mais la communauté internationale tarde à réagir. Mardi dernier, une femme bouscule accidentellement un jeune moine bouddhiste de 11 ans. Le garçon fait tomber le bol destiné à collecter les offrandes. La jeune femme est musulmane. Quelques heures plus tard, 200 à 300 personnes juchées sur des motos arrivent dans la ville, se dirigent vers la mosquée et la détruisent complètement. Dans la foulée, plus de 80 maisons sont incendiées et des dizaines de magasins pillés dans les villages alentours. Un homme meurt, des dizaines d'autres sont blessés. Depuis un an, la Birmanie, pays autoritaire de l'Asie du Sud-Est, est le théâtre de violents affrontements ethniques et religieux. La minorité musulmane, qui pratique un islam sunnite, est prise pour cible par certains bouddhistes. En 12 mois, près de 250 personnes ont été tuées et 140 000 ont fui. Tout a commencé en mai 2012, quand une rumeur a enflammé la vie de Sittwe, à l'extrême ouest de la Birmanie. Une rumeur de viol de femme bouddhiste, agressée par trois musulmans. Les représailles sont violentes. Un matin, des villageois attaquent un bus et tuent dix passagers musulmans. Pendant les semaines qui suivent, les musulmans, dont la plupart font partie de l'ethnie Royhingya, sont attaqués dans l'Etat de l'Arakan. Des moines propagent des discours nationalistes et antimusulmans. Certains appellent même à cibler ceux qui défendent la minorité en les qualifiant de traîtres. Bilan officiel, 200 morts. Mais la réalité pourrait être bien plus grave. Le jour de l'attaque du bus de Sittwe, qui donnera le départ de la vague de violence, plusieurs témoins affirment que la police, présente sur les lieux, a laissé faire. Lors des affrontements de cette semaine à Oakkan, une trentaine de membres des forces de sécurité ne sont arrivés que plusieurs heures après les violences. L'organisation internationale Human Rights Watch (HRW) affirme même que «des responsables birmans, des leaders communautaires et des moines bouddhistes ont organisé et encouragé les attaques contre les villages musulmans, avec le soutien des forces de sécurité». La persécution des Rohingyas n'est pas nouvelle. Les organisations humanitaires évoquent un «nettoyage ethnique» depuis plusieurs décennies. Purification Ces populations, converties au XVIe siècle, ne sont pas considérées comme des «vrais Birmans». Dans ce pays, le fort idéal national se base sur l'ethnie et la religion : «On est birman parce que l'on appartient à une communauté raciale, exclusive et quasi endogamique, fondée sur le bouddhisme», explique le chercheur Renaud Egreteau. En 1978, 200 000 personnes fuient vers le Bangladesh voisin, alors qu'un recensement de la population provoque de nombreuses violences à leur encontre. En 1982, une loi déchoit cette population de sa nationalité birmane. Les Rohingyas deviennent apatrides. Au début des années 1990, 260 000 Rohingyas se réfugient au Bangladesh pour ne pas être enrôlés dans des camps de travaux forcés. Dans le pays, leur existence est mal connue. Dans l'Etat de l'Arakan, ouest du pays, où ils vivent, quand on ne nie pas leur existence, on les appelle les «envahisseurs», les «kala» (équivalent du mot «bougnoule») ou les Bengalais. Au fil des années, ces populations ont été déplacées de force dans des camions militaires. Des milliers d'entre eux vivent dans des camps, sans pouvoir en sortir. Un couvre-feu a été instauré spécifiquement pour eux. Aujourd'hui, les denrées alimentaires et les produits de première nécessité à destination de leurs villages sont bloqués par les autorités militaires. Les organisations humanitaires ont difficilement accès à la région. Le personnel de Médecins sans frontières et des Nations unies a été menacé. Depuis le mois de juin, le Bangladesh, terre d'accueil depuis des décennies, a fermé ses frontières. Les populations tentent de fuir par bateau. Mais au début de l'année, la Thaïlande a expulsé des réfugiés arrivés sur ses côtes. Selon l'ONU, les Rohingyas sont désormais la minorité la plus persécutée au monde. Enquête Mais leur situation n'est pas près de s'améliorer. La Birmanie, régime très autoritaire, connu sur la scène internationale pour avoir assigné à résidence pendant 10 années l'opposante Aung San Suu Kyi, tente aujourd'hui une timide ouverture. Soumis à la pression des grandes puissances étrangères, ainsi qu'à des contestations internes, le régime a dissous la junte militaire au pouvoir en mars 2011. Des élections ont été organisées. Un Parlement est créé et Aung San Suu Kyi libérée. Depuis, la communauté internationale salue les avancées du pays. Le 24 avril, l'Europe a levé les sanctions commerciales et économiques imposées à la Birmanie. Si les violences contre les musulmans dans l'ouest du pays ont lieu depuis des années, celles de ces derniers jours, dans le centre du pays, sont un fait nouveau. «Pendant des mois, les extrémistes de l'Arakan ont pu diffuser leur idéologie sans problème. Ils n'ont pas été arrêtés. Jusqu'à présent, le gouvernement birman, réticent, a demandé des comptes aux moines et aux responsables locaux. Donc les extrémistes du reste du pays se sentent en confiance», explique Phil Robertson, le responsable Asie de Human Rights Watch (HRW). Si les ambassades étrangères en Birmanie et les organisations internationales semblent préoccupées, les autorités birmanes refusent de trouver une solution. «Le gouvernement est dans le déni, explique Phil Robertson, on a refusé de nous rencontrer. Les autorités essayent d'ignorer notre rapport, tant que la communauté internationale ne leur fait aucune remarque.» Pour HRW, le rôle des organisations internationales, comme l'Organisation de la conférence islamique ou l'Union européenne, est désormais de s'assurer que la Birmanie fasse la lumière sur ces violences. «S'il le faut, nous demanderons une enquête internationale», conclut Phil Robertson.