Chaque nation a une partie de l'histoire qu'elle cherche à oublier. » La sentence est de Paul Gordon Lauren, historien, professeur à l'université américaine du Montana, rencontré hier lors d'une discussion avec les journalistes, au siège de l'ambassade des Etats-Unis, à Alger. Avec philosophie, ce spécialiste des droits de l'homme et des relations internationales a voulu résumer la situation dans laquelle se retrouvent des pays, qui sortent de conflits, et qui veulent masquer des faits. Il a évité soigneusement d'évoquer l'idée implicite, contenue dans la charte pour la paix et la réconciliation mise en application depuis fin février 2006, sur la « non-écriture » de l'histoire des dernières années de violence en Algérie. « Chaque nation a le droit de décider pour elle-même », a indiqué ce PhD d'histoire et de sciences politiques de l'université de Stanford. Mais il a tenu à dire ceci : « C'est de la responsabilité d'un historien de dire la vérité, toute la vérité. » Seulement voilà, l'histoire a, selon lui, une tare : « Elle est difficile à gérer. » Casse-tête ? Paul Gordon Lauren, qui a été consultant de l'OTAN durant la guerre du Kosovo, dans les Balkans, sait ce que peut être un processus de sortie de crise. Il sait également qu'un processus de réconciliation nationale s'accompagne - c'est inévitable - de justice et de vérité. L'universitaire, qui visite l'Algérie pour la première fois et qui s'est rendu à Constantine, a avoué avoir peu évalué les atrocités commises par l'armée coloniale française lors des manifestations du 8 mai 1945, après la victoire des alliés sur les nazis en Europe. « Mes connaissances se limitaient à ce que j'ai lu dans les livres. Je savais ce qui s'est passé en mai 1945 en Europe, mais je ne connaissais pas grand-chose de ces événements. Je vais corriger cette erreur. Ma visite au Musée du moudjahid m'a impressionné. J'ai appris des choses sur la lutte pour l'indépendance », a-t-il dit. Jeune, Paul Gordon Lauren a vu le film La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo (interdit en France en 1966, censuré en 1971 avant d'être primé au festival de Cannes et à la Mostra de Venise). Il en a gardé des souvenirs. Il a regretté d'avoir lu des choses sur l'Algérie uniquement à travers l'écriture historique de l'occupant et a estimé que l'historien doit chercher les faits « d'une manière honnête ». « Il n'y a pas de comparaison à faire entre l'histoire de votre pays et celle de mon pays qui n'a que 200 ans d'existence. Désormais, et après ce que j'ai vu en Algérie, mon enseignement et mon écriture en seront influencés », a-t-il reconnu. Interrogé sur la question des « bienfaits de la colonisation », relancée par la controversée loi française du 23 février 2005, l'historien a estimé que même si la présence coloniale peut avoir des aspects positifs, ils ne peuvent pas être nombreux. « Les gens cherchent toujours à être libres. Il serait malhonnête de dire le contraire. Il est de la responsabilité de ceux qui écrivent l'histoire de dire la vérité. Aux Etats-Unis, on sait ce que peut être le combat pour l'indépendance », a-t-il souligné. Les Etats-Unis avaient subi une forte présence britannique, française et espagnole avant de connaître la guerre de sécession. « En tant qu'Américain, je ne peux pas être fier de l'histoire de l'esclavage », a-t-il dit. En évoquant le Montana, l'universitaire, qui accumule 31 ans dans l'enseignement, a rappelé l'engagement de Mike Mansfield pour la cause algérienne à côté du sénateur John Kennedy avant 1962. Il a avoué disant être contre l'invasion par un pays d'un autre. D'où son opposition à l'invasion américaine en Irak. Paul Gordon Lauren ne donne aucun crédit à l'idée de « la spécificité » des droits de l'homme, défendue par des régimes totalitaires du Sud, pour justifier des violations massives et récurrentes. « Les standards internationaux des droits de l'homme sont valables partout. Ces droits doivent être respectés dans tous les cas », a-t-il indiqué. Paul Gordon Lauren, qui a reçu le prix Pulitzer pour ses travaux annuels sur l'évolution internationale des droits humains, est opposé à l'approche sécuritaire qui a tendance à écraser les revendications de plus de liberté. Les mouvements de droite en Europe, particulièrement aux Pays-Bas, en France, en Italie et en Allemagne, et les républicains américains axent, depuis les attentats du 11 septembre, leurs messages politiques sur l'insécurité. Situation qui justifie, à leurs yeux, la restriction des libertés et la mise sous surveillance des citoyens. « S'il n'y pas de liberté, il n'y a plus de justice. Et s'il n'y a plus de justice, il n'existe plus de sécurité », a-t-il déclaré. Auteur également d'une dizaine d'ouvrages sur la diplomatie, l'éthique et les relations internationales, Paul Gordon Lauren anime des conférences à travers le monde sur les droits de l'homme. Il a enseigné en Finlande et en Nouvelle-Zélande.