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«Le Maroc semble incapable de gouverner sans la violence»
Professeur Jacob Mundy. Spécialiste du Sahara occidental à Colgate University
Publié dans El Watan le 21 - 05 - 2013

Le peuple sahraoui a célébré, hier, le 40e anniversaire du déclenchement de sa lutte armée contre l'occupation marocaine, après avoir commémoré, le 10 mai courant, la création du Front Polisario (10 mai 1973). Spécialiste du conflit, Jacob Mundy, actuellement professeur à Colgate University (New York), décrypte pour nous les enjeux de la dernière réunion du Conseil de sécurité de l'ONU consacrée au dossier sahraoui. Celui-ci (le Conseil de sécurité) a, rappelle-t-on, adopté le 25 avril dernier la résolution 2099 dans laquelle il a réitéré son appel à «une solution politique juste et durable acceptée par les deux parties et qui garantit le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination».
-Comment expliquez-vous le regain d'intérêt du gouvernement américain pour le conflit du Sahara occidental ces derniers temps ?
Ce regain d'intérêt américain est probablement dû au nouveau secrétaire d'Etat américain, John Kerry. Ce dernier soutient le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination depuis de nombreuses années. C'est son collègue, le regretté sénateur Edward Kennedy, qui l'a sensibilisé sur la question du Sahara occidental après qu'il soit lui-même devenu sénateur de l'Etat du Massachusetts. Kennedy a été l'un des premiers sénateurs à soutenir le droit du Sahara occidental à l'indépendance.
L'ancienne secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, comme chacun le sait, est plus complaisante à l'égard du Maroc pour des raisons personnelles et politiques. Sans Hillary Clinton, la représentante américaine aux Nations unies, Susan Rice, qui est également favorable à la lutte du Sahara occidental, aura désormais plus de liberté au Conseil de sécurité de l'ONU pour faire pression afin d'obtenir l'élargissement à la surveillance des droits humains du mandat de la Mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental (Minurso).
-Quelle est exactement, aujourd'hui, la position des Etats-Unis sur le conflit au Sahara occidental et quels sont les éléments qui contribuent à la définir ?
Si les parties en conflit, c'est-à-dire le Maroc et le Polisario, s'entendent sur un projet d'autonomie, les Etats-Unis vont soutenir. Si celles-ci conviennent d'un référendum sur l'indépendance, Washington va également soutenir. Les Etats-Unis aimeraient voir le conflit du Sahara occidental connaître une solution juridique qui respecte l'autodétermination. Toutefois, l'autodétermination n'a jamais été la priorité de la Maison-Blanche. En revanche, un Maghreb stable constitue la priorité des Etats-Unis. Dans les conditions actuelles, toute solution au conflit du Sahara occidental doit être acceptée par tous du point de vue de Washington.
Les Etats-Unis feront toujours le choix du statu quo en premier dans le cas où une solution menacerait de déstabiliser la région. Ils ne soutiendront donc pas une solution imposée aux parties. L'ancien émissaire de l'ONU, James Baker, avait par exemple souhaité voir le Conseil de sécurité imposer sa solution au Maroc. La Maison-Blanche avait toutefois rejeté l'idée. Inversement, le Maroc, en 2007, voulait imposer sa proposition «d'autonomie» pour le Sahara occidental. La suite tout le monde la connaît : le gouvernement américain l'a rejetée et a choisi la voie des négociations en soutenant la nomination de l'ambassadeur actuel, Christopher Ross. Cette attitude (politique) est déterminée par un intérêt historique : celui de voir s'établir un gouvernement stable à l'embouchure de la Méditerranée. Comme avec l'Egypte, la priorité américaine au Maroc n'est pas le régime en tant que tel mais la stabilité que le régime offre. Toutes les autres considérations, y compris l'Algérie et ses ressources énergétiques, sont secondaires.
-Avant la dernière réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur le Sahara occidental (25 avril 2013), les Etats-Unis ont présenté un projet de résolution appelant à élargir le mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l'homme dans les territoires sahraouis occupés. Washington a fini par se rétracter à la dernière minute. Qu'est-ce qui explique ce changement d'attitude ?
Les Etats-Unis ont voulu envoyer un signal au Maroc, mais pas au prix de perdre la présence de l'ONU au Sahara occidental. Un veto français aurait mis fin, en effet, à l'existence de la Minurso. Ce n'est dans l'intérêt de personne que cela se produise. Sur la question du Sahara occidental, le Conseil de sécurité utilise le consensus pour adopter des résolutions sur la Minurso. Il y a eu quelques exceptions à cette règle. La dernière en date remonte à février 2000, lorsque les Etats-Unis et la France ont abandonné le processus référendaire pour protéger le nouveau roi, Mohammed VI. Avec un vote, il n'aurait pas pu gagner. Cela fut une réunion du Conseil de sécurité très controversée.
-Pourquoi, d'après-vous, la France s'oppose à la surveillance des droits humains au Sahara occidental ?
Si elles avaient obtenu l'élargissement des prérogatives de la Minurso, les Nations unies auraient eu largement la possibilité de documenter les violations quotidiennes des droits humains par le Maroc. C'est la raison pour laquelle la France s'oppose à la surveillance des droits humains au Sahara occidental. Le Maroc semble être incapable de gouverner le Sahara occidental sans l'usage de la violence, la peur et le contrôle de la société. Le suivi régulier des droits de l'homme conduirait nécessairement à une intervention plus importante de l'ONU (envoi par exemple de rapporteurs spéciaux sur la torture et les exécutions sommaires). Des poursuites de la CPI pourraient même être envisagées.
-Avant qu'elle ne change, la proposition américaine a donné des sueurs froides au Maroc. C'est probablement la première fois que les Etats-Unis mettent en difficulté leur allié traditionnel dans la région. Qu'est-ce qui explique la montée au créneau de Washington ? Les Etats-Unis sont-ils en train de revoir leur politique maghrébine ?
Non, il ne s'agit pas d'une révision radicale de la politique américaine à l'égard du Maghreb ou du Sahara occidental. Sous l'Administration Obama, les Etats-Unis n'ont cessé d'exercer des pressions sur le Conseil de sécurité pour qu'il élargisse le mandat de la Minurso à la surveillance des droits de l'homme. Les Etats-Unis ont souvent rappelé à l'ordre Rabat concernant les violations des droits de l'homme. Mais cela s'est toujours fait avec beaucoup de discrétion. En avril 2013, cela a changé. Depuis 2003 (plan Baker), c'est effectivement la première fois que les Etats-Unis s'opposent ouvertement au Maroc. Mais dans les deux cas, Washington tentait en réalité de pousser le Maroc à gagner les cœurs et les esprits des Sahraouis.
-A votre avis, pourquoi le Maroc ne veut pas entendre parler d'un référendum d'autodétermination au Sahara occidental ?
Du plus petit village du Haut-Atlas jusque dans les rues de Casablanca, il est difficile de trouver une divergence d'opinions sur la question du Sahara occidental. En privé, les Marocains remettent en question les «lignes rouges» traditionnelles de la société (la monarchie, l'islam, l'armée, etc.), mais pratiquement aucun ne remet en cause la question du Sahara occidental. C'est un accomplissement incroyable de l'idéologie nationaliste ! La plus grande victime de cette idéologie est le roi lui-même.
-Comment ça ?
Il est dit quelque part que les rois sont les pions de l'histoire. Personnellement, je pense que Mohammed VI est le pion d'une histoire qu'il n'a pas écrite. Il doit suivre l'histoire que son défunt père, le roi Hassan II, lui a léguée. Celle-ci ressemble beaucoup à la tragédie d'Hamlet. Mohammed VI subit. Il est gouverné par des fantômes. A l'inverse, Hassan II a été brutal mais respecté. Même les dirigeants du Polisario pourraient dire : nous aurions pu travailler avec Hassan II mais pas avec ce nouveau roi et son régime. La raison est que Hassan II a obtenu son trône en survivant à des moments très difficiles et en prenant le Sahara occidental de l'Espagne. En somme, seul Hassan II a pu prendre le Sahara occidental et donc lui seul aurait pu le rendre. Mohammed VI n'a pas pris le Sahara occidental. Il n'a donc pas le droit de le rendre. Plus de trois décennies après, le Sahara occidental est devenu la chasse gardée de puissants intérêts dans l'armée et le makhzen. Le fait aujourd'hui que la pêche et l'exploitation des phosphates soient très rentables n'incite pas le Maroc à abandonner ce territoire.
-Comment voyez-vous l'évolution du conflit ?
Dans mon livre et sur le site web de Foreign Policy (Politique étrangère), j'ai soutenu que Washington n'interviendra dans le conflit du Sahara occidental que s'il devient une crise majeure et menace de déstabiliser le Maroc. Si, aujourd'hui, le Timor oriental est indépendant c'est parce que Bill Clinton a été forcé de faire un choix : permettre qu'un second génocide s'y produise ou dire à l'Indonésie de se retirer. Moubarak est parti parce qu'Obama a été aussi forcé de faire un choix, en particulier lorsque les travailleurs ont menacé de bloquer le canal de Suez. La même logique s'applique au Sahara occidental. Jusqu'à ce que les Etats-Unis soient obligés de faire un choix au Sahara occidental, ils choisiront toujours de ne pas choisir.


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