Difficile exercice que de se remettre dans les années 1990. Début de la décennie noire, les islamistes étaient à deux doigts de s'emparer du pouvoir. Grisés par un raz-de-marée lors des élections locales de 1990 puis celles de 1991, ils commenceront alors à imposer leur diktat aux Algériens dans tout les espaces publics. Séparation des hommes et des femmes dans les bus, une police islamique s'affairait à la moralisation de la société. Devant la démission du pouvoir en place qui avait laissé longtemps faire, ce sont alors les intellectuels, les journalistes qui constitueront le premier rempart contre la régression intégriste. Après les premiers attentats contre les services de sécurité, les groupes terroristes prendront pour cible tout ce que l'Algérie possédait comme cadres de qualité, intellectuels et journalistes véhiculant les valeurs du progrès, de démocratie et de modernité. La première victime, Hafidh Sanhadri qui tomba le 14 mars 1993 sous les balles assassines de hordes de sauvages qui signeront des dizaines d'assassinats. Deux jours plus tard, l'Algérie perdait un de ses meilleurs enfants, Djillali Liabès, sociologue, auteurs de plusieurs publications, ancien ministre de l'Enseignement supérieur et président à l'époque de l'Institut national des études de stratégie globale. Le 17 mars, c'est L'hadi Flici qui est lâchement assassiné. Le 26 mai de la même année, c'est le journaliste écrivain, Tahar Djaout, qui est tué à Baïnem (Alger). La série noire, qui avait alors commencé, se poursuivra pendant de longues années : Mahfoudh Boucebci, le professeur Djillali Belkhenchir, le sociologue Mohamed Boukhobza, Smaïl Yefsah, Abdelkader Alloula, Rachid Tigziri, Saïd Mekbel, et la liste est longue, seront tous assassinés… C'est un véritable massacre que les islamistes avaient organisé contre les intellectuels algériens. Les terroristes avaient même mis en place une faction, le FIDA, chargée spécialement de liquider une intelligentsia qui leur barrait la route. La terreur s'était installée partout dans le pays. Personne n'y a échappé. Hommes de lettres, artistes, enseignants, journalistes, médecins, politiciens, caricaturistes, les terroristes n'ont pas fait dans le détail. Sortant de la maison le matin, sans jamais être sûr de revenir le soir. Les Algériens rasaient les murs mais ont résisté à la horde intégriste décidée à dévitaliser l'Algérie pour lui imposer un projet moyenâgeux en semant la mort et la désolation. Djaout, Mekbel, Liabès, Alloula et les autres ont choisi de résister au péril de leur vie pour que l'Algérie reste debout. On se souvient encore de ces mardis noirs où les Algériens enterraient leur «crème». De ce 3 octobre 1995, quand notre défunt confrère Omar Ouartilane a été tué en rejoignant tôt le matin son bureau au journal El Khabar, de Mahiou, journaliste de Liberté et de son chauffeur, assassinés puis décapités. Comment Mohamed Boukhobza qui avait remplacé Djillali Liabes tué plus tôt a été sauvagement assassiné devant ses enfants. Ces martyrs, on ne doit pas les oublier. Ils représentent «la famille qui avance…», pour reprendre le titre d'une chronique du défunt Tahar Djaout. C'est la mémoire d'une Algérie intelligente, battante, résistante, intègre tournée vers l'avenir, que les lois amnistiantes du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, et ceux qui l'ont soutenu ont voulu effacée. Des lois qui ont créé un contexte politique où des dérives ont été tolérées. Ali Benhadj, numéro deux du parti dissous (Front islamique du salut), Ahmed Benaïcha, Ali Benhadjer, d'anciens chefs terroristes, revendiquent et justifient aujourd'hui, dans les colonnes d'une certaine presse, la liquidation des meilleurs enfants de l'Algérie. Dans quelle époque sommes-nous ?