L'Union européenne (UE) a décidé, lundi soir, de lever l'embargo sur les livraisons d'armes aux rebelles syriens, tout en maintenant l'ensemble des sanctions prises depuis deux ans contre le régime de Bachar Al Assad. Cette décision va surtout dans le sens des attentes de la Grande-Bretagne et de la France, les deux seuls pays de l'UE qui réclamaient depuis plusieurs mois la possibilité de fournir des armes à l'opposition. Pour ne pas nuire aux efforts de règlement politique de la crise syrienne qui a déjà fait, selon l'ONU, près de 80 000 morts et plus d'un million de réfugiés, les 27 ont toutefois convenu de ne pas mettre à exécution leur décision dans l'immédiat. Irrités, les Russes – qui ont déjà bien du mal à trouver un interlocuteur crédible et surtout représentatif au sein de l'opposition syrienne – soutiennent cependant que le mal est déjà fait. Pour eux, l'UE n'a ni plus ni moins court-circuité l'initiative de paix russo-américaine en adoptant une telle mesure. L'initiative d'une nouvelle conférence internationale baptisée «Genève 2» et rassemblant notamment les représentants du gouvernement syrien et ceux de l'opposition a été lancée, début mai, par les responsables des diplomaties russe et américaine, Sergueï Lavrov et John Kerry. La question était d'ailleurs au centre de nouveaux entretiens, lundi soir, à Paris, entre le secrétaire d'Etat américain et le ministre russe. Réagissant à l'option prise par l'UE, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, cité par l'agence Itar-Tass, a indiqué à ce propos que celle-ci allait porter «un préjudice direct à la possibilité d'organiser une conférence internationale». «L'embargo est levé en dépit de toutes les déclarations de l'UE en faveur d'un règlement basé sur la déclaration de Genève (de juin 2012), et en dépit de l'accord sur la nécessité d'organiser une conférence internationale sur la Syrie. Cela va à l'encontre de la politique de l'UE elle-même», a ajouté Sergueï Riabkov. «C'est une manifestation de deux poids, deux mesures», a déclaré ce responsable de la diplomatie russe. Il a par ailleurs confirmé la livraison, à la Syrie, de systèmes sol-air sophistiqués S-300 par Moscou, qu'il a qualifiée de «facteur de stabilisation» vouée à dissuader tout scénario d'intervention extérieure dans le conflit. Les mises en garde des rebelles A l'inverse, la Coalition de l'opposition syrienne, divisée et actuellement perçue avec beaucoup de méfiance à cause du contrôle de la révolte par les islamistes, a jugé la décision européenne «insuffisante» et intervenant «trop tard». «Il s'agit certainement d'un pas positif mais nous craignons qu'il ne soit insuffisant et qu'il n'intervienne trop tard», a soutenu un porte-parole de la Coalition réunie à Istanbul, Louay Safi. De son côté, Kassem Saadeddine, porte-parole de l'Armée syrienne libre (ASL), cité par des agences de presse, a fait savoir que les rebelles «veulent aussi que l'UE adopte une position plus sérieuse, une position plus ferme». En clair, ce n'est pas des armes que réclame l'opposition syrienne. Elle en a déjà eu grâce aux Qataris, aux Turcs et aux Saoudiens. Ses leaders veulent plutôt une intervention militaire occidentale sur le modèle de celle qui a visé le régime de Mouammar El Gueddafi en 2011. Pour le moment, il est peu probable que cela puisse se produire dans la mesure où la Maison-Blanche, pour des raisons qui lui sont évidemment propres, s'oppose fermement à une telle perspective. L'Administration américaine s'est jusqu'ici refusé, en effet, à franchir le pas de l'assistance létale. Cela explique d'ailleurs pourquoi elle s'est engagée avec la Russie dans la recherche d'une solution politique. Sur le terrain, le conflit ne connaît aucun répit et les craintes d'une extension du conflit syrien sont de plus en plus vives. Le Liban voisin subit déjà le contrecoup de la guerre qui ravage la Syrie. Le Hezbollah est en effet impliqué depuis quelques jours dans les combats aux côtés de l'armée syrienne. A propos, justement, de cette implication, le chef rebelle, Salim Idriss, a averti hier que si le mouvement chiite libanais n'arrêtait pas son «agression» en Syrie, les forces insurgées les pourchasseraient «même en enfer». «Si l'agression du Hezbollah contre le territoire syrien ne s'arrête pas dans les 24 heures, nous prendrons toutes les mesures pour le pourchasser, même en enfer», a déclaré sur la télévision Al Arabiya M. Idriss qui s'adressait notamment au président libanais, Michel Sleiman. Bref, la crise syrienne risque encore d'aller en s'aggravant.