La rue, qui a flambé contre un projet d'urbanisation d'un espace vert, a fait plier le gouvernement. Erdogan. La place Taksim n'était pas loin de celle de Tahrir l Un sérieux avertissement. La Turquie, qui est aux avant-postes dans la promotion et l'encouragement du «printemps arabe», vient de se brûler les doigts. Un controversé projet d'urbanisation d'un jardin public, au centre d'Istanbul, du gouvernement d'Erdogan, a suffi pour mettre le feu aux poudres. Les manifestations massives, qui ont commencé vendredi, se sont poursuivies hier dans les différentes artères de la grande métropole turque. Des associations de protection de l'environnement, des riverains et des acteurs politiques de tout bord se sont donné le mot pour dénoncer le bétonnage d'un espace vert pour y construire un centre commercial. A la place, la municipalité a prévu de reconstruire d'anciennes casernes ottomanes agrémentées d'un centre commercial. En creux, tout ce beau monde profite de cette «verrue» urbanistique pour brocarder le régime de l'AKP, coupable d'autoritarisme. Depuis vendredi, les rues et boulevards d'Istanbul se sont transformés en champs de bataille entre les forces antiémeutes et les milliers de manifestants. Les gaz lacrymogènes et les pierres qui vont dans tous les sens rappellent aux dirigeants turcs un spectacle qu'ils connaissent bien dans les pays arabes… Le printemps s'est bel et bien invité en Turquie, en ce début d'été. La place Taksim, au centre de la capitale turque, sonne, ironie du sort, comme celle de Tahrir au Caire. Une centaine de blessés Et, toutes proportions gardées, on est véritablement face à un soulèvement populaire qui n'est pas loin de ressembler à ceux d'Egypte, de Libye, du Yémen, de Tunisie et évidemment de la voisine Syrie. C'est un peu l'arroseur arrosé. Erdogan, qui s'est autoproclamé porte-voix des peuples arabes contre leurs dictateurs, fait désormais face à une même épreuve, même si l'intensité des manifestations n'a pas encore atteint son point de non-retour. Le fait est que le fameux refrain emblématique du Printemps arabe «le peuple veut la chute du régime» a été copieusement entonné dans les rues d'Istanbul. Une revendication très politique, qui dépasse largement la simple contestation d'un projet urbanistique mal emballé. L'écume du Bosphore s'est avérée aussi débordante que celle du Nil. Les manifestants, qui réclament l'arrêt du projet qui a fait monter la mayonnaise, ne reculent pas devant les matraques, les canons à eau et les balles en caoutchouc. Quand le Bosphore déborde… De son côté, le gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan s'est barricadé derrière ses certitudes d'être le maître du jeu et le centre du pouvoir. Mais, bien qu'il ait le vent en poupe depuis sa première victoire en 2002, l'AKP fait peut-être face à la première grosse secousse qui risque de l'emporter. La sanglante répression de ces manifestations, qui s'est soldée par une centaine de blessés au moins, laisse craindre le pire dans ce pays. Erdogan a lui même reconnu hier qu'«il y a eu des erreurs et des actions extrêmes dans la réponse de la police». Pour autant, il a maintenu que «la place Taksim ne peut pas être un endroit où les extrémistes font ce qu'ils veulent». Un discours de défi qui a tôt fait attiser un peu plus la tension. Et si Erdogan fonce tête baissée, le président turc, Abdullah Gül, semble avoir pris la mesure du danger. «Nous avons tous besoin d'être responsables face à ces manifestations qui ont atteint un niveau inquiétant», a-t-il dit, exhortant la police à «agir avec le sens de la mesure». Cette montée au créneau de Gül n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Le Premier ministre Erdogan, qui était intraitable dans la matinée, a fini par ordonner aux forces de l'ordre de se retirer, en milieu d'après-midi, de la place et du petit parc Gezi, dont la destruction annoncée a lancé la révolte. La victoire est éclatante pour les manifestants qui ont pu faire plier Erdogan. Comme un happy end à deux jours d'affrontements, des milliers de personnes brandissant des drapeaux turcs se sont emparé de cette place emblématique pour célébrer le succès de leur révolte éphémère. Ephémère, vraiment ?