Il n'aura pas fallu attendre longtemps pour connaître l'arrière-pensée de la décision du roi Mohammed VI de supprimer le visa d'entrée imposé en 1994 aux Algériens. Présentée par le souverain marocain comme une preuve de sa bonne foi d'aller de l'avant dans le processus de normalisation des relations avec « l'Algérie sœur », cette mesure ne semble être qu'une manœuvre destinée à endosser la responsabilité du blocage de la construction de l'ensemble maghrébin à Alger. L'illusion donnée par le discours du trône de Mohammed VI, laissant croire que le Maroc s'était enfin résolu à ne plus rendre tributaire le règlement de la question du Sahara-Occidental de l'approfondissement des relations algéro-marocaines, a, de ce point de vue, fondu comme neige au soleil. Les comptes-rendus de la presse marocaine concernant la rencontre sur « la coopération euroméditerranéenne », dont les travaux se sont tenus dimanche dernier à Assila en présence du ministre espagnol des Affaires étrangères, montrent que le défi lancé par le souverain alaouite de trouver « une solution politique définitive et mutuellement acceptable » à la question du Sahara, durant les cinq prochaines années, ne modifie en rien au vieux plan de Rabat de soustraire à tout prix le dossier sahraoui de la compétence du Conseil de sécurité de l'ONU. Connu pour sa proximité des thèses défendues par la monarchie alaouite, le quotidien Aujourd'hui le Maroc s'est d'ailleurs vite fait de relayer et de défendre, hier, l'idée que la paix au Maghreb dépend du règlement de la question du Sahara. Aujourd'hui le Maroc qui est, rappelle-t-on, à l'origine de la rumeur ayant fait état de la rédaction par Madrid d'un plan de règlement de la question du Sahara-Occidental, ne s'est pas gêné pour présenter l'Algérie comme le dernier obstacle en vue d'asseoir la stabilité dans la région. Cela, notamment depuis que le souverain alaouite a « tendu la main » aux autorités algériennes. Visiblement agacé par la pondération avec laquelle Alger a accueilli la décision de son souverain, ce quotidien a développé un argumentaire l'amenant à situer « la balle dans le camp algérien ». Parsemé de raccourcis, cet argumentaire, faisant croire que la suppression des visas est une concession gigantesque faite en faveur de « l'idéal maghrébin » par le Palais royal, se montre convaincu que « désormais la clé de la paix dans la région est chez Bouteflika ». S'il est difficile de trouver un lien logique entre la décision de supprimer le visa pour les Algériens et la paix au Maghreb, le journal en question laisse entendre que la contrepartie idéale au geste royal serait que l'Algérie ouvre ses frontières terrestres et accepte comme solution à la question du Sahara-Occidental « l'offre marocaine ». Cette offre, précise ce journal, consiste en « l'autonomie dans le cadre de la souveraineté du Maroc ». Présentant Alger « à la fois une partie du problème et de la solution », Aujourd'hui le Maroc ajoute que celle-ci est « moralement juste, politiquement honnête et juridiquement acceptable ». Fidèle à la ligne éditoriale traditionnelle du journal, le rédacteur d'un autre article publié hier dans Aujourd'hui le Maroc, intitulé « Que va faire maintenant Bouteflika ? », n'hésite pas, pour sa part, à brandir le risque d'une dégradation des relations algéro-marocaines dans le cas où Alger tarderait à faire connaître sa position concernant la décision prise par le jeune monarque. Pour étonnants qu'ils soient, ces articles permettent, a posteriori, de comprendre pourquoi Alger ne s'est pas empressé de trop commenter la décision du Palais royal. Surtout au prix exorbitant fixé par Rabat. Car, dans l'absolu, rien n'oblige Alger à répondre à une décision unilatérale de lever une mesure unilatérale du Palais royal. Mais par-delà ce détail, il y a lieu de s'attendre à ce que celle-ci (la réponse des autorités algériennes) n'ira pas au-delà de l'application du principe de la réciprocité. Pour des raisons liées à la dégradation de la situation sécuritaire et sociale au Maroc, l'Algérie éprouve de fortes réticences quant à l'idée d'ouvrir ses frontières terrestres. S'agissant de la position de l'Algérie sur le Sahara-Occidental, le président Bouteflika a rappelé, dans une lettre adressée hier au Secrétaire général de l'ONU, que cette question est « un problème de décolonisation devant trouver sa solution à travers l'exercice du droit à l'autodétermination par le peuple sahraoui ». Sur le même dossier, il est à signaler que durant la même journée, Rabat a essuyé un important revers diplomatique puisque le ministre espagnol des Affaires étrangères a indiqué que son pays était favorable au plan Baker. M. Moratinos a d'ailleurs saisi l'opportunité de sa présence au Maroc pour demander aux « parties en conflit de l'accepter ».