Depuis des décennies, experts et citoyens moyens, conscients du confort de l'inertie, avertissent sur les dangers d'une économie trop dépendante des hydrocarbures. Lorsque les exportations d'une seule ressource comptent pour 97% des recettes extérieures et le budget d'Etat est alimenté à plus de 66% par cette même manne, il y a péril en la demeure. Si on examinait les statistiques économiques depuis l'indépendance, jamais nous n'avons été aussi dépendants des hydrocarbures qu'aujourd'hui. Plus on parle de construire une économie productive hors hydrocarbures, plus on s'enfonce dans la dépendance. Nos experts pétroliers nous disent que la situation est sérieuse, mais qu'il ne faut pas trop s'alarmer. Avec une meilleure prise en charge des dossiers énergétiques, on pourrait encore en tirer des ressources pour plusieurs décennies. Les signaux du long terme sont difficiles à évaluer, tant les paramètres à considérer sont nombreux : crise mondiale, production américaine, aspects géostratégiques, etc. Les dossiers nationaux sont également complexes à déchiffrer : potentialités existantes, investissements à consentir, gaz et pétrole de schiste, compétences humaines et technologiques de Sonatrach, sa stratégie d'internationalisation, part des énergies renouvelables, etc. Il y a de quoi faire un modèle économétrique de plusieurs dizaines d'équations. Il est normal que les non-spécialistes guettent les moindres pronostics, les indices les plus indicibles à la recherche d'un quelconque éclaircissement. Mais les spécialistes mondiaux sont loin d'être unanimes. Un cabinet d'études anglais a eu une judicieuse idée. Il a interrogé les 20 experts et bureaux d'études spécialisés qui avaient fait les meilleures prévisions par le passé. Leurs pronostics sur les prix pétroliers sur les 15 à 20 prochaines années fluctuent entre 60 et 150 dollars. Ce n'est pas une nouveauté. Il ne peut en être autrement pour un bien aussi précieux et qui se trouve au cœur de toutes les géostratégies mondiales. Comment ajuster ses priorités L'avenir est par nature incertain et le devenir pétrolier l'est encore plus. Dans les méthodologies de planification, lorsque l'illisibilité est la plus totale on opère par scenarios, c'est-à-dire différentes possibilités. Ils sont nombreux. Nul ne peut être préparé à toutes les possibilités. Dans nos plans les plus obscurs, on n'a pas envisagé un séisme de 8 sur l'échelle de Richter au nord du pays : ce qui serait l'une des plus grandes catastrophes éventuelles. Il y a une probabilité pour que cela se produise. Mais nous n'y sommes pas préparés. Aussi, nous laissons ce sujet aux spécialistes de la question. En économie, on doit également se préparer au plus mauvais scénario. S'il ne se réalise pas, c'est tant mieux. On ne sera que meilleurs. S'il se réalisait, on y serait préparés. Le pire dans le domaine des hydrocarbures serait donc un prix de 60 dollars, une réduction des quantités exportées de 50% pour diverses raisons (demande intérieure, investissement, gestion des ressources existantes, etc.) et une population de 50 millions d'habitants. Nous avons devant nous quelques années pour y remédier, un temps trop court, mais susceptible de poser les jalons d'une future situation salutaire. Il nous faut réfléchir aux véritables priorités. Il y a trois défis majeurs à relever : améliorer les qualifications humaines, créer une économie productive diversifiée et efficace et enfin moderniser le management de toutes les entreprises économiques et des institutions de l'Etat. Chacune de ces priorités nécessite de nombreux chantiers. Résoudre le problème de fond, d'abord Mais toutes les équations précédentes ont des solutions possibles à une seule condition : opérer une judicieuse clarification entre le rôle des décideurs politiques et celui des planificateurs techniques. La confusion entre les décisions politiques et techniques est la source de multitudes de dysfonctionnements dans les pays en voie de développement. Les politiciens veulent jouer les deux rôles. Certes, ils doivent tracer les grandes lignes de la vision, fixer les priorités, les objectifs, comprendre la mécanique organisationnelle, contrôler que le système fonctionne normalement, etc. Mais lorsqu'ils se mettent à prendre des décisions techniques, le pays dérape. Dire que nous devons orienter les ressources prioritairement pour réduire de moitié le chômage en dix ans est une décision politique. Mais le choix d'opérer par des dispositifs administratifs au lieu des incubateurs et pépinières pour créer des microentreprises est une décision technique. Lorsque le politicien nomme des managers d'entreprises publiques il prend des décisions techniques. Lorsqu'il choisit lui-même l'implantation d'une industrie il se substitue aux spécialistes. Il ne peut jamais y avoir une séparation totale des deux rôles. On peut trouver dans les pays à économie de marché des épisodes où les politiciens se sont substitués aux spécialistes. Mais ce sont des exceptions et souvent décriées par la presse et les citoyens. Lorsqu'il y a généralisation de telles attitudes, aucune efficacité n'est en vue. Alors quelle est la pertinence de cette réflexion au problème de l'après-pétrole ? En premier lieu, nous devons planifier sur le scénario le plus défavorable. En second lieu, les experts algériens, résidents et expatriés, sont capables de mettre en place un plan de riposte, qui, démarré rapidement, permettra de développer à temps des secteurs qui vont petit à petit compenser l'éventuelle régression d'autres. Il nous reste suffisamment de ressources pour le faire. Bien sûr qu'il faut démarrer vite, mais surtout séparer la décision technique des désirs politiques. Les solutions techniques existent, mais les blocages politiques également. Alors l'équation de la résolution de l'après-pétrole ne trouverait sa solution qu'après avoir solutionné la question de la séparation des décisions politiques des questions techniques. En attendant, la psychose peut continuer.