Ath Aïssi, sur la route de Beni Douala, à moins de 10 km au sud-est de Tizi Ouzou. La circulation automobile est fluide en cette matinée de dimanche. Aux alentours de la stèle érigée à la mémoire de Matoub Lounès à Tala Bounane, des ouvriers de la commune s'affairent à couper les herbes folles et autres branchages qui assiègent l'endroit. C'est ici, au détour d'un virage, que le chantre de l'amazighité est tombé sous les balles assassines d'un commando armé, le 25 juin 1998, alors qu'il rentrait chez lui en compagnie de sa femme et de ses deux belles-sœurs. Quinze ans après, le lieu du drame ne désemplit pas de visiteurs. Ils sont nombreux, les admirateurs de l'artiste disparu, à y marquer une halte pour honorer la mémoire de leur éternelle idole. Gerbe de fleurs, photo souvenir ou simple pèlerinage, à chacun sa façon de rendre hommage à l'authentique poète populaire adulé pour sa personnalité, son courage de dire et son engagement pour tamazight et le combat démocratique. «Un poète peut-il mourir ?», proclame une grande banderole à l'effigie du Rebelle, déployée plus loin, à l'entrée du chef-lieu de la commune d'Ath Aïssi. A deux jours de la date anniversaire de sa mort, une effervescence particulière a gagné toute la région de Beni Douala où une quinzaine d'associations organisent, du 22 au 28 juin, une série d'activités culturelles et artistiques, et ce, en collaboration avec la fondation Matoub et l'assemblée populaire locale. La maison de la famille, sise au village Taourirt Moussa, grouille de monde. Nna Aldjia, la mère de Lounès et Malika, sa sœur, rentrée vendredi du Canada où elle a pris part à l'hommage rendu à son frère par une brochette d'artistes algériens, reçoivent les invités qui ont fait le déplacement d'un peu partout. Brahim Akkil est Marocain. Il vient de la ville d'Agadir pour participer au concours de poésie qu'organise la fondation Matoub en cette occasion. «Lounès Matoub est très populaire dans notre pays. J'ai eu l'insigne honneur de rencontrer, dans ma ville natale, Idir et Aït Menguellet, mais pas lui. Mais je connais l'essentiel de son répertoire grâce à deux amis qui m'ont procuré ses œuvres. Un véritable ‘argaz' (homme) et un symbole de l'amazighité. A Marrakech, Fès, Oudjda, les étudiants brandissent ses portraits lors des manifestations et entonnent ses chansons», dit ce jeune poète berbère. Sa compatriote Arouhane Khadidja abonde dans le même sens pour témoigner de la grandeur de l'homme que fut Matoub. «Les jeunes Amazighs de mon pays ont appris par cœur ses textes qu'ils reprennent admirablement. Matoub est la véritable vedette de la chanson engagée d'expression amazighe de tous les temps», explique-t-elle, entourée d'un groupe de femmes du village. Jeunes et moins jeunes, on ne tarit pas d'éloges à l'égard du fils de Taourirt Moussa. «Il y avait tant de joie dans ton cœur, tant de soleil dans tes yeux que jamais je ne cesserai de m'éclairer à la lumière de ton étoile. Nous t'oublierons jamais», déclare une fan anonyme résidant en France, sur un cadre exposé au siège de la Fondation. Mechouk Mebarek, 24 ans, n'a pas connu Matoub, mais lui voue un respect et une admiration sans limite. Rencontré à l'école primaire Mebarek Matoub où il est venu prêter main-forte aux organisateurs des festivités commémoratives, il dira : «A sa mort, j'avais 9 ans. Tout ce qu'il a prédit dans son œuvre a fini par se réaliser. Ses chansons sont éternelles. Je ne pense pas qu'on aura un autre artiste comme lui.» Mokrane, président de l'association Tagrawla de Taourirt Moussa, a souligné pour sa part : «Lounès Matoub nous a légué un testament sans l'avoir écrit. Nous devons poursuivre son combat. Malgré son envergure et sa dimension artistique, il est resté fils du peuple, humble et très serviable. Il partageait nos joies et nos peines. Il est irremplaçable.» Pour Malika, sœur du chantre de l'amazighité, le mythe Matoub demeure intact quinze années après son lâche assassinat. «Ce sont les jeunes d'une quinzaine d'associations qui ont mis sur pied le programme des festivités commémoratives du 15e anniversaire de l'assassinat de Lounès. Cette année, nous avons décidé d'exposer ses instruments musicaux et ses archives personnelles. Notre souhait est d'ériger un musée ici au siège de la fondation pour sauvegarder sa mémoire. Nous comptons également lancer l'idée d'un festival de l'authenticité, car tous les jeunes qui nous rendent visite régulièrement au village ont soif d'authenticité et de retour aux sources tant chantés par Lounès. Nous ne voulons pas que l'initiative vienne d'en haut. Il faut qu'elle soit l'émanation du mouvement associatif. Quinze ans après, il y a une dynamique qu'il faut perpétuer. Je pense que c'est le meilleur hommage qu'on puisse rendre à Lounès Matoub afin de l'immortaliser et maintenir son message pour les générations à venir.» Dans le même sillage, la fondation Matoub vient de rééditer le livre Rebelle écrit par le défunt artiste en 1995, en collaboration avec Véronique Taveau. «C'est un ouvrage qui a connu un grand succès. La fondation Matoub nous a autorisés à le rééditer. Il est disponible en librairie depuis le 18 avril 2013», nous a indiqué l'éditeur, Khenachi Rachid, rencontré hier au village Taourirt Moussa.