Il ne faudrait pas traiter les affaires de presse en droit commun », nous indique Jean-Yves Monfort, président du tribunal de Versailles (France) et qui a présidé la 17e chambre spécialisée en délits de presse du tribunal de Paris de 1991 à 2001, rencontré en marge de la rencontre jeudi dernier à l'hôtel Marsa de Sidi Fredj, à l'ouest d'Alger. Selon lui, la spécificité du code français de l'information, datant de 1881 et qui a connu plusieurs modifications depuis (ordonnance du 6 mai 1944, loi du 15 juin 2000), protège le journaliste par la complexité des procédures qu'il édicte : délais de prescription ne dépassant pas les trois mois, formalisme strict des actes de poursuite, etc. « Le but étant de rendre difficile la poursuite d'un journaliste. » « En Algérie, on remarque que la procédure spécifique n'existe pas dans le cas des délits de presse et, à mon sens, le progrès serait d'aller vers plus de procédures spécifiques », estime le président Monfort. Second biais du fonctionnement judiciaire en Algérie, le rôle du juge qui est souvent assimilé au bras armé des pouvoirs politiques. « En France, la justice n'a plus été considérée depuis le début de la 5e République comme troisième pouvoir, mais comme autorité judiciaire, le juge étant un fonctionnaire de l'Etat, mais la loi lui offre des garanties de son indépendance », explique Jean-Yves Monfort ajoutant que « les magistrats doivent être intellectuellement prêts à mordre la main qui les a nommés ». Car à ses yeux, « le dialogue entre justice et presse ne peut exister sans indépendance de part et d'autre ». A-t-il lui-même subi des pressions dans l'exercice de ses fonctions ? « Jamais. Et d'ailleurs, on ne subit de pressions que lorsque l'on est prêt à y succomber », lance-t-il, défendant l'avis que les juges doivent « s'armer d'une volonté suffisamment puissante pour se soustraire à la volonté de l'Etat ». Pour sortir de la dualité presse-justice, la tendance anglo-saxonne propose une autorégulation des affaires de presse : c'est à la corporation, représentée dans une autorité interne (comité d'éthique, médiateur, etc.), de procéder à des sanctions disciplinaires à l'encontre des journalistes auteurs d'abus. « Je ne suis pas partisan de la mise à l'écart du juge », estime le président Monfort. « Il est bon que la justice soit le ‘‘gendarme'' des affaires de presse. Un ‘‘gendarme'' bienveillant et libéral bien sûr. Parce que cela garantit d'abord l'efficacité de l'application de la loi. Ensuite, une sentence de justice de relaxe est considérée comme un titre d'honneur pour la corporation, alors qu'une décision d'un médiateur interne ne peut avoir la même envergure », argue-t-il. Revenant sur l'affaire de pédophilie dite l'affaire d'Outreau qui a éclaté en 2004 et qui n'en finit pas de secouer la France, avec son lot d'erreurs judiciaires et de montées de fièvre médiatiques, le juge a rappelé qu'il avait stigmatisé l'attitude de la presse française. « Elle était foncièrement du côté des accusateurs dans un premiers temps avant de se ranger de l'autre côté dès qu'elle s'est rendu compte de la complexité de l'affaire. L'affaire a été rendue très médiatisée et sans prudence, la presse n'a pas pu se détacher des sources policières et judiciaires pour faire sa propre enquête », a regretté le juge Monfort qui insiste, par ailleurs, sur le rôle bienveillant de la justice face à la presse. A la tête de la 17e chambre, il avait en face de lui des journalistes d'une publication anarchiste attaquée par le ministre de l'Intérieur de l'époque, Charles Pasqua. « Pasqua assassin » avait titré le journal en réaction au décès d'un Maghrébin lors d'une manifestation à Paris. « Estimant qu'un journal anarchiste ne pouvait que titrer ainsi, j'ai prononcé la relaxe », dit-il. « L'intervention du juge se veut avant tout symbolique et pédagogique : elle vise à dessiner une déontologie, à tracer, au fil de chaque décision, une limite, la plus consensuelle possible, entre le permis et l'interdit », a déclaré Jean-Yves Monfort lors de son intervention.