Vendredi violent en Egypte. La tension monte d'un cran à une journée de l'importante mobilisation à laquelle a appelé le mouvement d'opposition Tamarod (rébellion), réclamant le départ du président Mohamed Morsi, prévue demain à l'occasion du premier anniversaire de son investiture. Plusieurs villes du pays ont connu, hier, des affrontements violents entre partisans et adversaires du président Morsi, signe d'une détérioration du climat politique dans le pays. La polarisation a atteint un seuil critique et le bras de fer entre le pouvoir – aux mains des islamistes – fortement décrié et une opposition remontée font craindre le pire alors que le pays est déjà fortement divisé. Les heurts qui ont éclaté mercredi passé ont déjà fait quatre morts et plus de 300 blessés. Face à cette montée de la violence et redoutant une dégradation de la situation, l'armée a déployé des renforts dans les villes-clés pour protéger les établissements vitaux. Dimanche dernier, le ministre de la Défense, Abdelfettah Essissi, avait mis en garde contre le risque de «déstabilisation du pays». Les partisans du président islamiste qui voulaient faire «un vendredi de la démonstration» en appelant à des manifestations de soutien à Morsi ont été surpris par une contre-offensive massive des opposants au pouvoir. Place Tahrir, haut lieu de la révolution égyptienne, était occupée par le mouvement Tamarod, obligeant les partisans de Morsi à tenir leur rassemblement à Nasr City, un faubourg du Caire. Déterminés à défendre le Président de plus en plus contesté, les Frères musulmans ont brandi le slogan de la légitimité comme une «ligne rouge». Pour galvaniser les troupes, Safwat Higazi, un prédicateur de la confrérie, a incité les partisans de Morsi «à tout donner pour défendre la légitimité et l'Egypte. Vous devez prouver au monde qu'il y a des hommes qui défendront la charia et la légitimité». Place Tahrir, le célèbre slogan «Dégage» est entonné avec force par des milliers de manifestants hostiles aux islamistes au pouvoir. En début de soirée, d'autres manifestants anti-Morsi se sont dirigés vers le palais présidentiel protégé par une «grande muraille». Morsi, un président isolé Si au Caire les manifestations n'ont pas connu de troubles, dans d'autres villes du pays, par contre, la mobilisation a tourné aux affrontements violents entre opposants et partisans de Morsi. A Alexandrie, deuxième ville d'Egypte, le face-à-face a viré au drame, causant la mort d'une personne et une dizaine de blessés. «Un citoyen a succombé à ses blessures causées par des tirs à la chevrotine», a rapporté l'agence officielle Mena. Durant toute la journée, des heurts ont éclaté lors des manifestations rivales. Des centaines de manifestants opposés à Morsi étaient attaqués par des militants du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), le bras politique de la confrérie. Les manifestants ont saccagé ensuite les locaux du parti au pouvoir. La télévision d'Etat a indiqué, en début de soirée qu'un photographe américain a été tué. Même scènes de violence dans les villes du delta du Nil où l'opposition au président Morsi est vigoureuse. Dans la province de Daqahliya, les locaux du PLJ ont été pris pour cible. A El Mahala El Kobrah, une ville ouvrière, des centaines de manifestants sont descendus dans la rue pour exprimer leur rejet du Président. Morsi apparaît de plus en plus isolé. Lors de son discours à la nation, mercredi dernier, il a usé d'un ton menaçant à l'égard de ses adversaires, les accusant de «comploter» contre le pays tout en reconnaissant avoir commis des erreurs durant sa première année d'exercice du pouvoir : «J'ai fait beaucoup d'erreurs, c'est incontestable. On peut commettre des erreurs mais elles doivent être corrigées.» Mais pour beaucoup de personnalités de l'opposition, lors de son discours qui a duré près de trois heures, Morsi a déçu. Pour le politologue Tawfik Aclimandos, «Morsi n'a fait aucune concession lors de son discours, mais c'était probablement trop tard pour en faire alors que la situation risque fortement de tourner à la violence». Le chef de file du Front du salut national, Mohamed El Baradei, a appelé les Egyptiens à descendre dans les rues, dimanche, pour «se réapproprier la révolution». Même le modéré Abdelmouneim Abou El Foutouh, dissident de la confrérie des Frères musulmans, a aussi appelé ses partisans à manifester contre Morsi. En dehors des mouvements islamistes qui continuent à le soutenir, le Président a perdu tous les soutiens grâce auxquels il était parvenu à conquérir la présidence de l'Egypte. «Il n'a pas été à la hauteur de la situation. Avec ce discours, le président Morsi a montré combien il est loin des réalités du pays. Cela nous rappelle les discours de Moubarak avant sa chute», a commenté le leader du Mouvement du 6 avril, Ahmed Maher. En somme, au bout d'une année d'exercice du pouvoir, le président islamiste se trouve au cœur de tensions politiques qui risquent d'embraser le pays. Il cristallise la colère d'une grande partie de la population. S'il parvient à survivre à ce volcan en éruption, il aura célébré son premier anniversaire de Président dans la douleur.