« Les enfants de Port Saïd se dirigent vers la place du 1er Mai (1) est le poème où Abdellali Rezzagui (2) a mis le plus de lui-même, l'enfant bien-aimé de sa fantaisie, et l'on trouvera peu d'œuvres qui reflètent la personnalité de leur auteur avec autant de plénitude, d'éclat, de netteté. Tous les sentiments, les conceptions, les idéaux du poète sont là. Sans parler de ses mérites esthétiques, cette œuvre a pour nous, qui sommes Algériens, une importance historique et sociale énorme. De ce point de vue même, ce que la critique pourrait aujoud'hui, et non sans raison, y relever de faible ou de vieilli est plein d'une signification profonde, d'un intérêt considérable. En ce qui concerne sa forme, c'est là une œuvre au plus haut point artistique, et quant au contenu, ses défauts mêmes constituent ses mérites les plus grands. Nous voyons avant tout dans le poème de Abdellali Rezzagui un tableau poétique de la société algérienne à l'un des moments les plus intéressants de son développement. De ce point de vue, ce poème est une œuvre « historique » dans la pleine acceptation du terme, bien qu'aucun de ses héros ne soit un personnage historique. Ici, Abdellali Rezzagui n'est pas seulement poète, il est encore le représentant d'une conscience sociale qui s'éveille petit à petit : mérite immense ! Avec lui, la poésie algérienne écrite en arabe, jusque-là timide élève de sa sœur moyen-orientale, s'est révélée un maître plein de talent et d'expérience : « L'oiseau ne peut chanter toujours On ne peut rester oiseau toute sa vie Il est temps qu'il se bâtisse un nid. » La diversité des passions, les nuances de sentiment infiniment subtiles, les rapports sociaux et privés extrêmement complexes, tel est le riche terrain qui convient aux fleurs de la poésie, et seule une société en mutation peut préparer ce terrain-là. C'est là que la magie de la poésie de Abdellali Rezzagui montra son pouvoir de révélation. Il suffit de feuilleter n'importe lequel de ces poèmes de notre poète pour se convaincre de cette fonction poétique qui est la sienne. Là, la poésie prouve qu'elle est vérité : « Ils ont surgi de la mer, des vagues qui refluaient, des hommes, des hommes bruns, yeux d'obscurité, barbe de café et la peau de tronc d'arbre coupé. » Dans la majorité de ses poèmes, Abdellali Rezzagui décapite le verbe, exclut le mot conscient au bénéfice du jeu de la création. Mais l'artiste, comme l'artisan, ne sépare pas la raison de l'activité créatrice. Il s'agit d'inventer le monde à travers son image. Le poète consacre la capacité cognitive de la poésie et s'enivre de mots, découvrant des choses nouvelles. Dans son recueil de poèmes : Témoignages du citoyen Abdellali (3), la ville « sale », les maisons délabrées, les taudis où s'entassent les pauvres sont plus qu'un simple décor pour notre poète qui décrit, à la façon d'un nouvelliste ou d'un romancier, des personnages plongés dans un univers où l'absurde n'est pas absent. (1) + (2) 2e recueil de poèmes de Abdellali Rezzagui qui est aujourd'hui professeur à l'Institut de journalisme d'Alger et collaborateur dans plusieurs journaux arabophones. (3) Edité dans un numéro spécial de la revue Amal. Saisi pour « offense aux institutions de l'Etat » en 1985.