L'ex membre et chanteur algérien du groupe Carte de séjour, Rachid Taha, ayant embrassé depuis une carrière internationale après le hit Ya Rayah, une version revisitée et électro du standard mythique du regretté et maître du chaâbi, Dahmane El Harrachi, se produira prochainement en Algérie pour quatre dates de concerts événements qui le mèneront à Tlemcen, Oran, Annaba et Alger. A la veille de son retour en Algérie après 16 ans d'absence, Rachid Taha se livre à cœur et « tombeau » ouvert. Cela fait longtemps que vous n'êtes pas venu en Algérie ? Cela fait longtemps que je ne suis pas vu en Algérie. Pourquoi longtemps ? On ne m'a pas proposé de concerts en Algérie. Ma dernière visite remonte à 1989-1990, avec mon fils qui avait à l'époque 5 ans. J'avais effectué une sorte de quête de raï. J'ai eu un problème de santé et puis j'ai fait un album durant la guerre du Golfe. C'est marrant, à chaque fois qu'il y a une guerre je tombe malade. Je ne suis pas revenu parce que j'aime tellement mon pays, je l'adore. Mais y revenir pour remplir une valise de douleurs, je préfère ne pas y aller. Vous allez vous produire pour des dates de concerts-événements en Algérie, à Annaba, à Oran et à Alger... Je n'en fais que quatre ! L'Algérie, c'est beaucoup plus grand que cela. Tlemcen, Oran, Annaba et Alger. Le paradoxe, j'ai fait pas mal de pays. Mais le drame, le public ne répond pas présent. Soit vous avez de la nomenklatura et le peuple vous ne le voyez pas. Est-ce une forme de censure ou bien il faut faire des concerts d'une manière autre. Je ne sais pas comment cela se passe en Algérie. En Egypte, par exemple, lorsque je m'y suis produit, il y avait 1000 personnes, donc, soit le prix est très élevé soit il n'y a pas d'informations. Mais j'espère que le public sera nombreux en Algérie. Quand on s'attarde sur votre parcours discographique, on découvre que vous étiez world avant l'heure... Ben oui ! C'était malgré moi. Lorsque j'ai commencé à faire de la musique, je voulais être journaliste. Une manière à moi d'exprimer les émotions, les sensations, les difficultés et la réalité d'être émigré. Moi, j'ai toujours été émigré. Toujours, Carte de séjour ? J'ai toujours la carte de résidence. J'ai fait le tour du monde. C'est ma façon d'avoir un peu mon petit journal. Dieu sait que ce n'est pas facile d'être journaliste dans des pays comme les nôtres. Même en France, ce n'est pas facile d'être journaliste. La censure y a pris une forme beaucoup plus pernicieuse. Vous êtes un chanteur engagé... Je suis à l'écoute de l'humain. Vous savez pourquoi ? Parce que l'autre, c'est moi. Je m'identifie à l'autre. Voilà,Voilà, est un signe avant-coureur des événements ayant secoué les banlieues françaises en 2005... Récemment, en France, il y a eu une fête sur Bollywood. Je leur ai dit : vous savez, nous en Algérie, on écoute de la musique indienne depuis qu'on est né. On la connaît par cœur. Donc, arrêtez de faire cet espèce d'amalgame avec votre conscience abécédaire et votre inconscience colonialiste. Cela me rappelle les physionomistes à l'entrée des boîtes de nuit opérant une sélection au faciès. Quand vous entendez De Villers (un homme politique vendéen de droite) et personne ne réagit. Pour moi, la France est une république bananière. Mais le drame, c'est qu'elle ne vient pas de Martinique, voilà ! Avec le hit revisitant y a Rayeh de Dahmane El Harrachi, vous avez internationalisé le chaâbi... Evidemment ! Vous savez, je suis en train de préparer Diwan2. Diwan veut dire assemblée. Et bien, je fais un album tous les trois ans pour mon fils, qui a 20 ans, pour lui expliquer la culture et l'origine de son père. Donc, je chante Dahmane El Harrachi, Oum Kalsoum, Blaoui El Houari... Ce sont vos références... Ce sont ma mémoire. L'important, pour savoir se défendre, il faut connaître sa mémoire, son histoire. Sur Ida dans l'album Diwan, vous rendez hommage au trompettiste Messaoud Bellemou, un pionnier du raï... Evidemment. C'est un hommage. C'est un vrai de vrai. Vous savez, quand je vois les rappeurs montrer leurs dents en or, je souris. Eh, des proches de la famille à Mascara, en portaient, il y a longtemps, avant ces rappeurs. Vous faites aussi référence au raï rural de la gasba (flûte de roseau)... Bien sûr ! J'écoutais beaucoup El Hadj Mamachi. Le concert 1, 2, 3 avec Khaled et Faudel fut une consécration... Khaled est toujours pour moi un artiste extraordinaire. Moi, j'adore Oum Kalsoum et Khaled. Vraiment, j'adore ce mec ! Je pense qu'on devrait s'en occuper. Vous savez les gens qui ont fait de hautes études, ce sont les mêmes qui vous insultent. Vous avez utilisé le personnage. C'est comme les porteurs de valises. Khaled, prenez-le tel un chanteur. J'espère qu'il va revenir. Inch'Allah. Moi, je continue à chanter pour informer les autres. Mon amour de la musique est mon salaire. Brian Eno ne tarit pas d'éloges à votre endroit... C'est vrai ! Je suis content que vous ayez relevé cela. Il y a Robert Plant de Led Zepplin avec qui j'ai travaillé, Mick Jones (des Clash), c'est mon pote, et bien sûr Brian Eno. Mais qu'on parle français de droite à gauche, cela les déstabilise (rires). Sur votre dernier album Tekitoi, vous avez repris Rock the Casbah des Clash. C'était magique de vous voir interpréter ce titre avec l'un des membres des Clash, Mick Jones... Au départ, nous avions joué ensemble, à Londres, lors d'un concert contre la guerre en Irak, organisé par Brian Eno. Et nous sommes les meilleurs amis du monde. Que pense Mick Jones de votre nouvelle version orientalisante et rock de Rock the Casbah ? Il trouve qu'elle est meilleure que celle des Clash. Avez-vous rencontré Joe Strummer (Clash) avant sa disparition ? Oui, je l'ai rencontré, on a fait des concerts. Mais bon, il est mort après. Si je vous demande Tekitoi, Rachid ? Ben, je suis toi ! (rires). Merci, Azzizi !