Le général Abdelfattah Al Sissi, qui a déposé le président élu Mohamed Morsi, s'est distingué hier encore par un curieux appel à manifester qu'il a lancé au peuple égyptien pour lui donner mandat d'en finir avec le «terrorisme». «J'appelle tous les Egyptiens honnêtes à descendre dans la rue vendredi pour me donner mandat pour en finir avec la violence et le terrorisme», a déclaré l'auteur du coup d'Etat contre Morsi lors d'une cérémonie militaire. C'est la première fois que l'armée égyptienne invite le peuple à descendre dans la rue, alors qu'elle a plutôt «vocation» à réprimer les manifestations… Le général Abdelfattah Al Sissi a pris le risque de discréditer davantage les autorités de transition déjà fortement décriées, en se présentant comme l'unique garant de la sécurité du peuple. Le général «putchiste» a poussé ainsi l'outrecuidance jusqu'à «personnaliser» la mission de l'armée qui consiste à assurer l'ordre. En réclamant un «mandat» populaire, Abdelfattah Al Sissi voudrait quelque part légitimer le coup de force contre Morsi avec effet rétroactif… Voyant que le coup d'Etat est, au mieux, soutenu du bout des lèvres par des pays alliés, ou pire décrié par d'autres pays occidentaux, le général Al Sissi semble avoir trouvé la parade pour juger et jauger ses décisions à l'applaudimètre de la place Tahrir et de ceux des autres villes d'Egypte. Il s'agira surtout de se mesurer aux foules des partisans du retour de Morsi qui se recrutent parmi les Frères musulmans et d'autres courants hostiles aux militaires. Ces derniers n'ont pas quitté les places publiques depuis la destitution de Morsi le 3 juillet. L'armée dans la rue… Ni les grandes chaleurs qui règnent au Caire ni l'épreuve spirituelle du Ramadhan n'ont pu avoir raison, pour l'instant, de la détermination des Frères musulmans à mettre la pression sur le nouveau régime. C'est dire qu'il y aura de la tension dans l'air ce vendredi entre Frères musulmans et partisans de l'armée. Il paraît quasiment inévitable que des accrochages éclatent entre les deux camps. A moins que ce soit précisément ce qui est recherché par le général Al Sissi et ses lieutenants qui voudraient forcer les islamistes à rentrer chez eux et mettre fin à leur camping «politique» qui rappelle au monde entier qu'en Egypte, la démocratie a subi un coup d'Etat militaire qu'une partie du peuple dénonce. La question coule alors de source au pays du Nil : le général veut-il tenter le diable par son appel à manifester ? Souhaite-t-il en découdre avec les Frères musulmans quitte à provoquer un bain de sang ? Corps à corps ? En tout cas, ce mandat qu'il demande pour en «finir avec le terrorisme» fait craindre le pire. Peut-être que dans la bouche du général «terroristes» rimerait aussi avec «islamistes». Auquel cas, il va falloir s'attendre au pire demain. Ceci d'autant plus que cette déclaration de «guerre» des militaires ne semble pas faire peur aux partisans de Morsi. Un dirigeant des Frères musulmans, Essam El Erian, a en effet rejeté les «menaces» du général Al Sissi et assuré qu'elles ne dissuaderaient pas «des millions de gens de continuer à manifester» pour le rétablissement de M. Morsi. Les Frères musulmans ont par ailleurs qualifié l'attitude du général Al Sissi d'«appel explicite à la guerre civile». «La déclaration d'Al Sissi est un appel à la guerre civile», ont-ils dénoncé dans un communiqué. Ces prises de position font redouter un risque d'escalade, dans un contexte de tensions politiques exacerbées déjà marqué, depuis près d'un mois, par des violences souvent meurtrières. Un policier a été tué dans la nuit de mardi à mercredi et 28 autres personnes blessées par un engin explosif devant le commissariat central de Mansoura, dans le delta du Nil (nord), selon les services de santé. L'attaque n'a pas été revendiquée, mais elle survient dans un contexte d'affrontements souvent meurtriers depuis la déposition de M. Morsi. Les partisans du Président déchu ont «condamné l'attentat criminel» de Mansoura, réaffirmant leur engagement à «des manifestations pacifiques» et «dénonçant les actes de violence». Un soldat a en outre été tué hier dans une attaque dans le nord du Sinaï, frontalier d'Israël et de la bande de Ghaza. C'est dire que ce bras de fer politique couplé à un regain de violence terroriste rend l'équation égyptienne plus que jamais compliquée.