Depuis quelques jours, un certain nombre de journaux nationaux et étrangers font état d'une « rupture de l'équilibre militaire au Maghreb », en faveur de l'Algérie, suite à la réalisation d'un contrat d'armements conclu récemment avec la Russie, partenaire traditionnel de notre pays. Cet accord prévoit d'ailleurs l'intervention d'autres fournisseurs, dont des entreprises françaises, pour des équipements nécessaires d'accompagnement. Il ne faut pas négliger cette levée de boucliers commanditée et qui va se traduire, certainement, par d'autres mesures plus concrètes ainsi que par des réactions multiformes au niveau régional et international. Examinons le bien-fondé des arguments développés et les analyses retenues pour la circonstance. Evacuons de cette campagne la thèse commerciale pure. Les arguments présentés ne tiennent pas la route. En effet, le choix d'un équipement militaire ne dépend pas uniquement du prix et des performances techniques, comme tout expert sérieux le sait parfaitement. Ce choix est commandé par une analyse fine des menaces actuelles et futures qui pèsent sur un pays, les relations régionales et internationales qui prévalent et enfin par l'appartenance ou non à un traité de défense et de sécurité, avec un pays ou plusieurs pays. Les réactions françaises notamment (via le journal Le Monde), à la conclusion du contrat d'armement signé entre Alger et Moscou, ne peuvent pas être liées au seul placement de chasseurs Rafale dans le caddy des consommateurs algériens d'armement. Cette hypothèse n'est pas sérieuse. La visite du chef d'état-major de l'ANP, ces derniers jours à Paris, a permis, sans aucun doute, de clarifier les positions des uns et des autres sur les différentes visions de la situation sécuritaire dans la région. Les pensées, mais surtout les arrière-pensées, ont dû être mises sur la table, au cours de cette visite, de manière à examiner les voies et les moyens à mobiliser ensemble pour prendre en charge, chacun pour ce qui le concerne, les problèmes de défense et de sécurité de la région. C'est donc faire un « procès en sorcellerie » à l'Algérie, qui s'est vu infliger un embargo, de facto, sur les armes durant plus d'une décennie (pour ceux qui auraient la mémoire courte) que d'affirmer que « l'équilibre militaire du Maghreb » est rompu au profit de l'Algérie. Ce sont les mêmes milieux identifiés, qui nous interpellent aujourd'hui, qui ont constitué le tribunal de la « sainte inquisition » et qui ont condamné l'Algérie au bûcher. Il faut, dès lors, concentrer notre réflexion sur ce que d'aucuns appellent « l'équilibre militaire au Maghreb » et sa supposée rupture. Cette notion est assise, en général, sur la quantité et la qualité des équipements, sur la formation des personnels et sur les ressources consenties pour maintenir la combinaison des deux, dans une situation d'opérationalité optimale. Bien entendu, toute cette action est paramétrée par la définition des menaces énoncée plus haut et de leur prise en charge, après avoir épuisé toutes les possibilités autres que militaires (politiques, diplomatiques, culturelles, religieuses...). Qui donc est fondé, aujourd'hui, pour affirmer que l'équilibre militaire supposé au Maghreb est rompu ? S'agissant d'un équilibre précaire et instable, il est plus juste d'inscrire ce paradigme dans la volonté des uns et des autres de conforter cet équilibre lorsqu'une opportunité favorable se présente. L'Algérie a conjugué au quotidien le sang, la cendre et les larmes durant une décennie. Seule, elle a combattu le terrorisme, jusqu'à ce que le monde entier comprenne, après les attentats de New York, que nul n'était à l'abri du phénomène, malgré les compromissions odieuses de certains qui pensaient pouvoir être épargnés. Elle a payé, pour cela, le prix fort en pertes humaines et matérielles, sans aucune aide de qui que ce soit. Bien au contraire, des alliances contre nature et irresponsables se sont conclues contre elle et ses intérêts vitaux, sans entamer pour autant sa détermination à mener la lutte jusqu'à son terme. L'Algérie considère dès lors, à juste titre, que ces quinze dernières années de lutte contre le terrorisme ont été épuisantes pour les personnels et les matériels, ce qui a entraîné une réduction considérable de ses capacités de défense et de sécurité. En outre, dans sa lutte contre le terrorisme qu'elle a menée seule, dix ans durant, notre pays a pu constater sur le terrain les besoins énormes, tant quantitatifs et qualitatifs, que nécessite cette action afin de neutraliser ces menaces, à l'intérieur de ses frontières et dans ses profondeurs stratégiques. Les théoriciens de la défense nous rappellent sans cesse qu'« un pays a les frontières qu'il peut défendre ». Cette réalité crue nous a fait découvrir, dans la douleur, l'immensité géographique de notre territoire et par conséquent les sites sensibles et vulnérables à couvrir et à protéger. A partir du moment où une aisance financière relative la rend possible, il était opportun et légitime pour notre pays de s'équiper en différents armements, de manière à prendre en charge les besoins exigés par la lutte antiterroriste qui continue de sévir dans notre pays et à l'étranger, faut-il le rappeler. Le choix du fournisseur tombe sous le sens, dans la mesure où les personnels opérationnels sont entraînés sur ces équipements depuis des décennies et qu'ils répondent parfaitement aux besoins d'interception, de protection et de neutralisation en cas d'agression, d'où qu'elle vienne, des sites sensibles et vulnérables de notre pays. En outre, dans le dialogue récent avec l'Otan, notre pays a décidé de prendre sa propre part dans l'œuvre collective de stabilisation et sécurisation de la région, que ce soit sur le théâtre des opérations de la plateforme méditerranéenne ou dans les régions subsahariennes qui se sont avérées être, ces dernières années, des zones d'activité et de transit à haut risque. A cet endroit également, un équipement approprié de détection, d'interception et de neutralisation est rendu nécessaire du fait du terrain, de son immensité et de sa complexité. Il est donc pour le moins singulier que des « pleureuses égyptiennes » se fassent l'écho des inquiétudes grandissantes dans notre voisinage immédiat et ailleurs, alors que les objectifs affichés et plusieurs fois réitérés s'inscrivent dans une politique de sécurisation de la région. Le renforcement du potentiel de défense de l'Algérie est à inscrire sur le registre du renforcement du potentiel de défense du Maghreb, dans sa lutte contre le terrorisme et partant du reste des pays de la région. Les supputations et autres spéculations sur la supposée « rupture de l'équilibre des forces militaires au Maghreb » ne peuvent qu'alimenter une vieille tactique de division de la région pour mieux la contrôler et lui vendre de l'armement. Succomber aux chants de ces sirènes amènera la concertation qu'il faut absolument privilégier. Un large débat sur les problèmes de sécurité et de défense serait le bienvenu entre Maghrébins qui sont les premiers concernés. Dans ce cadre et de manière à permettre une concertation nationale à l'intérieur de chaque pays du Maghreb, l'Algérie a inauguré depuis plusieurs années des JEP (journées d'études parlementaires) organisées par la commission de la défense nationale du Conseil de la nation et où un débat citoyen sur les problèmes de sécurité et de défense est instauré. Cette initiative est à encourager dans tous les pays du Maghreb, de manière à consacrer le principe de la concertation maghrébine sur les problèmes de sécurité et de défense et d'élargir à nos sociétés civiles le débat.