Pas de trêve à l'horizon entre l'armée et les islamistes. Le Caire était encore hier le théâtre de nouveaux affrontements dès l'aube entre forces de l'ordre et islamistes, faisant plusieurs dizaines de morts, sans doute un des pires bilans depuis le renversement du président Morsi issu de la confrérie des Frères musulmans. Les partisans de Mohamed Morsi ont parlé d'une centaine de morts. Le Caire (Egypte). De notre correspondante La manifestation a connu une tournure sanglante quand les pro-Morsi ont tenté de bloquer un pont routier sur la route menant de l'aéroport au Caire. Ils se sont heurtés aux riverains d'un quartier voisin. Selon le communiqué de presse du ministère égyptien de l'Intérieur, qui accuse explicitement les islamistes des faits, les forces de sécurité ne seraient intervenues que pour séparer les deux parties et empêcher la fermeture du pont en question. De son côté, le ministre égyptien de l'Intérieur, Mohamed Ibrahim, a ajouté qu'il allait faire évacuer «très prochainement» les deux sites occupés depuis près d'un mois par les partisans du président islamiste déchu, Mohamed Morsi au Caire. M. Ibrahim a affirmé lors d'une conférence de presse que les forces de l'ordre agiraient «dans le cadre de la loi» et en cherchant à ce qu'il y ait «le moins de pertes possibles». De nouveau dans le collimateur, la répression semble aller crescendo contre des islamistes en Egypte qui réclament depuis près d'un mois le retour à la légitimité démocratique. L'armée – qui jouit d'un soutien populaire – rejette aussi la responsabilité de la situation actuelle sur les Frères musulmans, les accusant d'aller «trop loin avec leur entêtement» et leurs «sit-in stériles». Leur image est diabolisée par les médias et la rue, en particulier depuis la fermeture officielle de leurs chaînes satellitaires par les militaires. Un bilan et des confusions Le bilan de ces nouvelles violences meurtrières demeurait hier l'objet des spéculations. Alors que les Frères musulmans ont avancé le chiffre de 100 morts, le ministère de la Santé a, pour sa part, fait état de 29 morts dans des hôpitaux d'Etat, ce qui porterait donc le bilan d'hier à 66 morts. Selon d'autres sources (agences de presse, journalistes présents sur place et des médecins), ce bilan est loin de la réalité. Il serait en effet beaucoup plus lourd. Il semblerait à ce propos qu'il existe des corps non déclarés. D'après des sources recoupées, le bilan des violences depuis vendredi s'élèverait à plus de 130 morts et 1400 blessés au Caire, et 5 morts et plus de 110 blessés à Alexandrie. Hier après-midi, on pouvait voir sur la place Rabaa Al Adawiya, point de ralliement des Frères musulmans, des mares de sang, de nombreuses douilles de balles de différents calibres. Mais malgré l'atmosphère inquiétante et les morts, les pro-Morsi se disaient déterminés à rester, en dépit de la pression de l'armée. Plus loin, à l'hôpital de campagne installé à l'intérieur de la mosquée Rabaa Al Adawiya, l'ambiance est chaotique, une vraie bousculade, entre sympathisants, médecins, familles de victimes et journalistes avides de détails qui ne se contentent plus des versions des faits données par les nouvelles autorités. De nombreux corps recouverts chacun d'un drap blanc sur lequel était écrit le nom de la victime étaient alignés les uns à côté des autres. «Al Sissi Président» «J'accuse le gouvernement et les forces armées des massacres qui ont eu lieu au faubourg Madinat Nassr», a déclaré tôt ce matin, Younes Makhyoun, président du parti salafiste Al Nour. M. Makhyoum dit espérer «que le nouveau gouvernement comprendra que cette crise ne peut être résolue par des manifestations et des contre-manifestations, la violence commise est la solution de facilité. Il est grand temps de prendre conscience que les choses empirent à vive allure, il faut arrêter toute forme de violence physique ou verbale». Dans le camp adverse, les «pro-Al Sissi» justifient ces actions musclées par la nécessité de tourner la page, d'en ouvrir une autre et de tirer un trait sur le terrorisme. Les manifestants de la place Tahrir ont demandé aux islamistes de mettre fin à leur sit-in inutile. «Retournez chez vous ! Morsi ne reviendra jamais au pouvoir, vous avez eu votre chance, maintenant laissez- nous vivre en paix», criait un jeune homme ce matin sur la placette. Pas loin de lui, un petit groupe portant une affiche du mouvement Tamarrod nous arborait un grand portrait d'Al Sissi entre les mains : «Les barbus nous considèrent comme des mécréants depuis leur arrivée au pouvoir. Si le général Al Sissi se présente à la présidence de la République, nous voterons sûrement pour lui. Nous voulons dire non au terrorisme et dire à l'armée, à la police et à Al Sissi : ‘Nous sommes avec vous, nous ne vous laisserons pas tomber'», n'ont cessé de scander ces jeunes. Depuis le renversement de Mohamed Morsi, les avis nationaux et internationaux restent mitigés quant au vrai rôle de l'institution militaire dans la nouvelle équation politique en Egypte. L'armée essaye par tous les moyens, quitte à faire appel au peuple, de forcer la confrérie des Frères musulmans à admettre son échec. Une confrérie qui a mené une lutte de 80 ans pour accéder au pouvoir. Une chose est sûre, une partie de l'opinion redoute que la présence de l'armée ne marque aussi un grand retour en force de la répression. C'est en tout cas par la force que le pouvoir égyptien est parvenu à exclure les islamistes de la scène politique. Concernant ce qui est en train de se produire, le politologue français et chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam), François Burgat, soutient que «l'armée s'efforce de déplacer la confrontation avec les Frères musulmans sur le terrain sécuritaire parce qu'elle sait très bien qu'elle aurait du mal à la gagner sur le terrain électoral». «La base électorale des Frères musulmans excédant le nombre de leurs adhérents, est encore assez large – bien supérieure à 20% de la population – pour menacer la coalition hétéroclite de l'armée avec les libéraux. Si les militaires ont besoin de qualifier les Frères de terroristes, c'est en fait parce qu'ils savent très bien qu'ils sont plus que cela», a expliqué encore M. Burgat.