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la saga des Bensegueni à Constantine
Rabie Bensegueni. Ancien joueur du MOC et du CSC, ex-membre de la CAF et de la FIFA
Publié dans El Watan le 01 - 08 - 2013

«Et voici Constantine, la cité phénomène, Constantine l'étrange, gardée comme un serpent qui se roulerait à ses pieds par le fantastique Rhummel, fleuve de poème, fleuve d'enfer. Il a fait une île de sa ville.»
Guy de Maupassant
Derrière son inébranlable sérénité, son air de grand-père vigilant et affectueux, se cache un caractère réputé inflexible. A presque 90 ans, cet homme simple, énergique, a gardé l'allant de sa période de jeunesse des années quarante, où il faisait vibrer les stades et enchanter les foules, grâce à son talent de footballeur choyé par le tout Constantine. Issu d'une vieille famille constantinoise, sympathisant communiste, Rabie a eu à coordonner le mouvement des Jeunes communistes de Cirta, au milieu des années quarante, tout en tapant dans le ballon pour devenir l'une des valeurs sûres de la ville.
En fait, à l'instar de ses frères Abdelhamid et Mohamed, Rabie a suivi l'exemple de son père, Omar, plus fidèle que jamais à la ville des ponts suspendus. Jouant au MOC, club que son père, Omar, simple cordonnier, a contribué à créer aux côtés de son ami le cheikh Ben Badis. Rabie a aussi porté les couleurs du CSC, évoluant invariablement dans les deux clubs avec le même bonheur et une égale sympathie des deux galeries. Enfin, Rabie a occupé de hautes fonctions dans le foot national et continental.
Bensegueni Rabie est né, le 27 mars 1924, au quartier Zeleïka à Constantine. Issu d'une famille de 4 garçons et 2 filles, il a suivi les cours de la célèbre école Arago de la ville. Constantine à l'époque était composée de trois communautés. Il y avait le quartier arabe, qui va du pont de Sidi Rached jusqu'à la médersa en longeant tout le balcon du Rhummel, il y avait le quartier européen, qui englobait la brèche jusqu'à Bellevue en passant par Saint-Jean, et enfin le quartier juif, qui commence du pont d'El Kantara, jusqu'au pont suspendu de Sidi M'cid.
Le foot est une passion
Les territoires étaient marqués et bien distincts. Même les écoles se pliaient à cette configuration sociale. Les Arabes ne pouvaient aller qu'à l'école Arago, alors que les établissements Montesquieu et Ledru Rollin, accueillaient respectivement les juifs et les Européens. «Moi, j'ai rejoint l'école en 1929, j'y suis resté jusqu'en 1936, pour rallier l'école primaire supérieure du Coudiat jusqu'en seconde. L'entame de la guerre ne m'a pas permis de poursuivre mes études. Mes trois frères étaient mobilisés, c'était un peu trop pour la famille. Mon père, qui a fait la première guerre au Liban, en sait un bout. C'est pourquoi j'ai tout fait pour ne pas y aller.»
En 1939, justement au déclenchement des hostilités, en décembre précisément, un heureux événement suscite un bel engouement chez les jeunes. La création par Abelhamid Ben Badis d'un club de football dénommé MO Constantine. «Mon père Omar, ami du cheikh nous avait annoncé la couleur : ‘‘Vous allez jouer dans une équipe que nous venons de créer.'' C'est ainsi que mon frère Abdelhamid, qui jouait au Racing universitaire de Constantine, est venu renforcer les rangs de ce nouveau venu. J'avais à peine 16 ans. Je faisais partie de l'équipe junior du MOC, dont j'étais le capitaine. On jouait en ouverture. Un jour, en novembre 1941, on m'avait fait appel, parce qu'un senior manquait à l'appel. J'ai donc joué mon premier match senior comme ailier gauche contre la défense de Saint-Arnaud. Depuis je suis devenu titulaire indiscutable.» Après une trêve due à la guerre, les rencontres interligues avaient repris en 1944.
Constantine, constantine
La sélection de l'Est algérien avait rencontré, à Tunis, son homologue tunisienne en mai 1944. «Il y avait dans notre équipe des joueurs de talent, comme Salver de Batna, Laklif de Sétif, Chérif de la JBAC, Ripol de l'US Bône, Djennaoui de Kouif.» Son éveil à la conscience politique ne s'est pas fait fortuitement. Rabie avait choisi le camp de la lutte et de la contestation. «En 1941, lorsque mon père a été arrêté et déporté dans l'Oranie, j'avais senti que ma place n'était nulle part ailleurs que dans les luttes, ce que j'ai accompli effectivement dans une cellule du PCA à Sidi Mabrouk, aux côtés des Français Rafini et Valon, anciens de la guerre d'Espagne, membres des fameuses Brigades internationalistes. Ils avaient été arrêtés et incarcérés à Lambeze, mais libérés en 1943. Ils avaient, par la suite, pris fait et cause pour la lutte de Libération nationale. Mon père, Omar, était proche des ulémas, mais aussi des progressistes.
C'était un homme de gauche sans détenir la carte du PCA. Il était très lié aux uns et aux autres, à telle enseigne qu'il dut être le trait d'union entre les communistes et les amis de Ben Badis. Je me souviens que le PCA avait des hommes exceptionnels, comme le Français le docteur Catouard, cardiologue, ami de mon père, un humaniste qui, pour se rapprocher davantage de la population musulmane, étudiait l'arabe et rendait souvent visite à Ben Badis. Il soignait gratuitement les nécessiteux. Il sortait l'argent de sa poche pour aider les démunis, et bien cet homme-là, d'une grande rectitude a été arrêté en 1941 et jeté en prison, où il écopera d'une année de détention. Au cours de son séjour, l'épidémie de typhus surprit tout le monde. Après avoir purgé sa peine, le docteur a refusé de sortir, estimant qu'il avait encore du boulot pour soigner les nombreux malades emprisonnés atteint de cette maladie.»
Le Dr Catouard, avait assisté aux obsèques de Ben Badis le 16 avril 1940. Le docteur est resté dans cette ville jusqu'en 1967. Rabie parle lentement, sans omettre le moindre détail. Aussi n'est-il pas étonnant que la question des liens qu'il entretient avec sa ville natale suscite chez lui une sorte de nostalgie fascinante. D'ailleurs, il ne peut exprimer son histoire personnelle sans celle de Constantine, ses murs, son histoire, son malouf, sa m'laïa…, sa ville, il l'a dans les tripes comme le poète Malek Haddad autre enfant de la cité. Il peut la chanter, la dévoiler, mais «on ne présente pas Constantine. Elle se présente et on salue. Elle se découvre et nous nous découvrons, elle éclate comme un regard à l'aurore et court sur l'horizon, qu'elle étonne et soulève.
Les ponts et les rochers ne sont que des prétextes, les signes extérieurs d'une virtuosité qui se plaît à surprendre. Une image aux reflets sonores, immortalisée aussi par Kateb Yacine dans Nedjma. Constantine aux camouflages tenaces, tantôt crevasse de fleuve en pénitence, tantôt gratte-ciel solitaire au casque noir soulevé avec l'abîme. Cité d'attente et de menace, toujours tentée par la décadence, secouée par des transes millénaires, lieu de séisme et de discorde ouvert aux quatre vents par où la terre tremble et se présente le conquérant et s'éternise la résistance». Les images défilent dans sa tête, cet épisode douloureux passé, les choses sportives reprennent et l'engouement pour la balle ronde reste toujours envoûtant.
«On avait joué un match barrage mémorable avec le MOC, à Annaba, contre la Jeunesse sportive musulmane de Philippeville. On avait gagné 2 à 0. A l'époque, il y avait des teams redoutables, comme l'AS Bône, la JBAC, l'USM Bône, la JS Jijel, l'Espérance de Guelma, le CSC, l'AS Batna, le Sporting olympic de Sétif, l'US FM Sétif… En 1947, on avait terminés seconds derrière la JBAC, on a eu le droit de participer au Criterium national. On avait joué à Alger et perdu 3 à 1 face au MC Alger. Mais ce n'était que partie remise, puisque l'année suivante, on était sacrés champions de l'Est algérien. Durant la même saison, le MOC participe au Championnat nord-africain avec les Champions de Tunisie (CA Bizerte), l'O Hussein Dey (Centre), l'USM Oran (Ouest) et le WA Casablanca, chaque équipe recevait 2 fois et se déplaçait deux fois. On a reçu et battu le CAB (7-1), l'OHD (4-2), on s'est déplacés à Oran (1-1) contre l'USMO et on a été défaits à Casa (0-3).
Cela nous a valu le titre de vice-champion d'Afrique du Nord. Un jour durant l'année 1950/1951 un ami, Mostefa Benelmedjat m'avait suggéré d'aller passer 15 jours à Paris. Son idée était d'y rester définitivement. Il voulait travailler au métro. Il a joué un match, l'essai était concluant, mais son embauche était conditionnée par… la mienne. Une offre concomitante ! On a ainsi exercé au métro, on a même passé un stage qui m'a valu d'être nommé chef de station à Odéon. Je jouais également dans la sélection FSGT de Paris et de l'équipe nationale des travailleurs. On a exercé une année au métro, puis j'ai joué à l'ASF Perreux en amateur, pendant une année et demie.
Mon frère aîné, Abdelhamid, était entre-temps installé en Normandie où sa femme était receveuse des PTT. Il était entraîneur/ joueur d'une modeste formation locale. En mai 1953, une délégation du CSC est venue solliciter ses services en qualité d'entraîneur-joueur avec cette chance de me ramener dans ses bagages en tant que joueur. C'est ainsi qu'on a signé au CSC. Entre-temps, mon frère Mohamed, plus connu sous le nom de Kapo, né en 1936, était l'idole des jeunes et montait en grade. Il avait joué au MOC en première, à l'âge de 16 ans, en 1952. C'était déjà le meilleur buteur du championnat. D'ailleurs, il nous fit un drôle de cadeau, dans la double confrontation MOC-CSC où grâce à ses buts, ils nous avaient battus ! Au cours du même mois de mai avec Mohamed, j'ai fait partie de la sélection de l'Est, qui s'était déplacée au Maroc.»
Au concours du jeune footballeur de mai 1954, Mohamed s'est classé premier devant Rachid Mekhloufi. Il est allé représenter l'Est algérien à Paris. Décembre 1955, Mohamed est parti à l'OGC Nice et à joué l'année suivante la Coupe d'Europe contre Glasgow Rangers. Parmi les dates qui l'ont marqué, celle qui devait déterminer la destinée de l'Algérie aura été sans doute la plus frappante. «Je sais qu'à la veille du déclenchement de la guerre, le 31 octobre 1954, c'était un dimanche, nous avions joué avec le CSC contre L'USMK à Khenchela, nous sommes rentrés, très tard, en bus. Quelques semaines plus tard, le FLN décrétera l'arrêt des activités sportives pour les clubs musulmans.»
En 1957, Rabie décroche le concours de comptable principal d'Algérie, sur 85 candidats, il est classé 4e. Il est nommé directeur de la Société agricole de prévoyance à Sedrata, jusqu'en juillet 1963, où il est rappelé à Alger où il fait partie du lot des contrôleurs et directeurs financiers. Il opte pour la direction du bureau algérien des pétroles, ancêtre de Sonatrach, en janvier 1964. «Je devais rester 5 ans, j'y suis resté 26 ans, jusqu'à la retraite en septembre 1989.» Sur le plan sportif et au-delà de sa riche carrière de footballeur, Rabie a été un cadre important à la FAF, qu'il a ralliée au lendemain de l'indépendance.
Réformistes et communistes
Cette orientation n'est pas fortuite. «A la FAF, il y avait le Dr Maouche que j'avais connu à Constantine. On était amis et quand il a débuté dans le foot à Bellevue, il n'hésitait pas à me demander des conseils. Il avait poursuivi ses études de médecine à Alger, où il avait joué au Red Star. Installé à la FAF, il n'a pas omis de me faire appel, en constituant une commission nationale de 9 membres. 3 de l'Est, Suit-elle, Boutaleb et Bensegueni, 3 du Centre, Hassan Khodja, Tadjet et Amrani Abdelkader et 3 de l'Ouest El Hassar, Hamidèche et Kara Turki. On m'avait confié l'arbitrage. En 1970, Maouche, candidat au comité exécutif de la CAF, m'avait demandé de l'accompagner à l'assemblée générale, au Soudan. Là, Maouche a été élu à la CAF, et c'est là aussi qu'il a été décidé de créer une commission continentale d'arbitrage, dont j'ai fait partie avec le Togolais Eboue.»
Rabie a été instructeur des arbitres de la FIFA, de 1978 à 1992. A la FAF, Bensegueni abat un travail considérable. «Je dois à la vérité, de dire que parmi tous les présidents qui se sont succédé à la FAF, le seul qui m'ait marqué est sans conteste Abdenour Bekka. Le calendrier des championnats, c'est moi qui le confectionnait de 1964 à 1981. Nous n'avons jamais réclamé un centime à la FAF. Il n' y avait ni sponsor ni subvention. On vivait grâce à des ressources infimes et la trésorerie était saine.» L'ancien arbitre international, Abdelkader Aouissi, son ami, considère «Rabie comme un homme de grande valeur qui a été l'architecte de la commission d'arbitrage».
Ex-secrétaire général de la FAF, Fouzi Boubaha a bien connu Rabie à l'instance fédérale où il était aussi membre de la commission d'arbitrage. «Il faisait un bon duo avec Mouhoub Guidouche. Il s'entendait à merveille avec Maouche. Il a un passé élogieux de footballeur à Constantine. Il a appris à maîtriser totalement les lois du jeu et l'arbitrage d'une manière générale. Il avait de bonnes relations avec l'ancien secrétaire général de la CAF, l'Egyptien Mourad Fahmi, qu'il a beaucoup aidé dans l'exercice de ses prerogatives, notamment dans le domaine qui est le sien. Très discret, voire reserve, Rabie a réussi parce qu'à son avantage, il était neutre et ne fricotait pas avec les clubs. Il n'était l'homme ni des compromis encore moins des compromissions.»
Comparativement à ce qui se passe actuellement le fossé est immense. «Désormais, le seul langage qui compte dans l'univers du football est celui de l'argent, et on sait que l'argent pourrit tout, constate-il indigné. Les joueurs, les dirigeants, les arbitres. La compétition est devenue un théâtre d'ombre. J'ai joué au MOC et au CSC et croyez-moi, nous n'étions pas obnubilés par l'argent. Il y avait d'autres valeurs plus nobles. Maintenant, quand je vais à Constantine et que j'essaie de m'enquérir de la situation du football dans ma ville, les anciens se disent outrés et qu'ils ont longtemps tourné le dos à leur passion footbalistique. Ils ne vont même plus au stade, c'est plus qu'un drame. Maintenant, ce sont les affairistes qui tiennent les leviers et les cordons de la bourse, au mépris de l'éthique et de la bonne éducation. Ce qui m'étonne, ce sont les sommes astronomiques annoncées. D'où puisent-ils toutes ces sommes, non soumises au contrôle de l'Etat ?» Retour à Constantine, future capitale de la culture arabe en 2015. «Pourquoi pas ? s'interroge-t-il avec un sourire en coin. Constantine a bien abrité le Congrès musulman en 1937. Sans anticiper sur les résultats de cette manifestation, la ville pourra au moins bénéficier des répercussions de cet événement et infrastructures nouvelles qui lui font cruellement défaut...»


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