Exilée en France depuis plus de deux décennies, Malya Saâdi est une voix féminine chaâbi prometteuse. Elle a su se frayer un chemin dans la cour des grands. Elle vient de sortir, aux éditions Papidou, son premier album intitulé El bhar. Retour sur un entretien passionnant avec cette chanteuse hors pair qui parcourt les scènes sans relâche. -Vous êtes la fille du chanteur chaâbi Hsissen. Vous avez repris le flambeau à votre manière en modernisant le chaâbi ? Je n'ai pas l'impression d'avoir modernisé le chaâbi. Je me le suis plutôt approprié. Déjà, à son époque, il était moderne. J'ai introduit de nouvelles sonorités ouvertes sur le monde dans la plupart des chansons, sauf pour Sobhane Allah Ya Ltif, où j'ai respecté la version originale. Je suis à chaque fois terrorisée à l'idée de chanter cette sublime chanson. C'est un challenge au quotidien. Mon premier album, El bhar, sorti en mars dernier aux éditions Papidou, me ressemble. On retrouve tous mes débuts dans la vie. Le chaâbi est une ouverture sur le monde et sur tous les autres styles musicaux que j'aime. Il y a des influences jazz et latino par moments sur certains arrangements. Il faut savoir que dans cet album, j'ai respecté la base du chaâbi. Il y a également un clin d'œil à la musique algérienne. A titre d'exemple, il y a une chanson chaâbi, arrangée à la version oranaise. Les arrangements sont signés du guitariste P'tit Moh, connu pour être le musicien attitré de Gnawa Diffusion, et de Smaïl Benhouhou, qui joue avec Djamel Laroussi. -Justement, n'avez-vous pas peur de choquer certains puristes ? On m'a toujours posé cette question, mais curieusement, les chanteurs de chaâbi que j'ai pu croiser jusque-là aiment bien mon travail. Le but était de rendre le chaâbi un peu ouvert sur le monde et accessible à une génération plus jeune à l'étranger, finalement ça marche bien. Ça plaît beaucoup. Je suis contente du retour. C'est une belle victoire. Il faut savoir que dans cet album intitulé Ya bhar, il y a une base chaâbi évidente, mais aussi quelques clins d'œil à la musique algérienne, une chanson réarrangée dans le genre oranais, une autre un peu gnawa. Ce sont des petits clins d'œil. Les arrangements sont signés par P'tit Moh, il a apporté sa touche et ça m'a beaucoup plu. -Comment êtes-vous venue dans l'univers du chaâbi ? Je suis née et j'ai grandi dans un environnement propice fait de musique et de peinture. Je suis tombée dans le chaâbi toute petite. Par la suite, j'ai fait mon petit bout de chemin toute seul. Déjà très jeune, je faisais partie des ateliers de musique et des chorales au sein de mon école. J'ai intégré ensuite pendant trois ans un groupe de gitans. Chemin faisant, j'ai fait de petits essais seul. -Comptez-vous en faire votre carrière ? Evidemment, c'est ce que j'aime faire. C'est ce que j'ai envie de faire et c'est ce que je fais actuellement. -Que fait d'autre Malya en dehors de la musique ? Je fais plein d'autres choses (rires). Je travaille dans un bureau d'études où je suis assistante d'un ingénieur structure dans le bâtiment. Je suis également productrice de mon album. -Vous avez déclaré récemment que le chaâbi vous avait sauvée en France ? C'est vrai. Quand on est en France, on est constamment étranger, même si on y travaille et si on a sa propre famille et son boulot. Pour rappel, j'ai quitté l'Algérie pour la France à l'âge de 14 ans. Parfois, on est un peu perdu. Et puis, le chaâbi me permet de me retrouver et de savoir qui je suis réellement. De retrouver mes racines et mes valeurs. Cela me permet d'avoir parfois les pieds un peu plus sur terre. Il est à noter que j'ai pris du temps avant de faire mon album, car je voulais faire quelque chose qui me ressemble. Il fallait passer par la recherche de qui j'étais. Savoir où j'avais envie d'aller et revenir, surtout à la base. Car on se perd un peu parfois sur terre. Le chaâbi est un repère identitaire, c'est une musique dont les paroles sont magnifiques et porteuses de messages. -Quel est l'écho de votre musique en France ? En France cela se passe très bien. Je fais beaucoup de concerts. Beaucoup d'Algériens y viennent... Cependant, je suis surprise qu'il y ait également beaucoup de Français qui s'intéressent à notre musique. Je suis, en outre, très fière du batteur cubain, du pianiste français et des autres musiciens que j'ai dans mon groupe. Le chaâbi est une musique qu'on apprécie même en Europe. Il faut dire que le documentaire El Ghosto a permis d'ouvrir le chaâbi sur le monde. C'est une belle initiative de la réalisatrice Safinez Bousbia. -Avez-vous d'autres projets en perspective ? Je participe à un projet intéressant intitulé «Le chaâbi au féminin», monté par Mourad Achour. Les rendez-vous mensuels musicaux des samedis qui se tiennent en France proposent une création musicale. Plusieurs voix féminines interprètent des œuvres jusque-là écrites par les hommes et pour les hommes. Un projet fort, permettant aux femmes de reprendre une vraie place dans la musique chaâbi. Je suis fière de participer à ce projet aux côtés de Meriem Beldi, Syrine Bnemoussa, Hind Abdelli, Samir Brahmia, Amina Karadja, Samia Diaz. La direction est confiée à Nourreddine Aliane, Yahia Bouchala, Kahina Afzim, Amine Khettat, Nabil et H'cinou.