Le reproche régulièrement fait depuis trois ans aux entreprises françaises de ne pas investir suffisamment en Algérie est-il justifié ? Tout à fait du point de vue d'Alger ; pas du tout selon Paris. Alger d'abord : la France est le premier fournisseur de l'Algérie sans en être le premier client énergétique, ce qui, en net, lui fait profiter du gonflement accéléré des importations algériennes ; le flux des investissements directs suit de trop loin la cadence : les plus grands investissements hors hydrocarbures et hors téléphonie sont indiens ou espagnols dans la sidérurgie et les engrais, égyptiens ou canadiens dans le ciment et l'hydroélectricité ou encore khalijite dans l'hôtellerie et la grande distribution. Ce à quoi rétorque Paris en contre-offensive ouverte ces derniers jours avec les deux visites à Alger du Medef et du ministre délégué à l'industrie, M. François Loos ; la France est tout de même le premier investisseur en Algérie en hors hydrocarbures si l'on cumule les engagements depuis cinq ans. Les capitaux apportés augmentent de 40% par an depuis deux ans et tout indique qu'ils s'apprêtent à décoller compte tenu du nombre de décisions d'investissement qui sont " en maturation ". Dans les faits, M. François Loos estime que 140 millions de euros d'investissements français directs en Algérie en 2005 " ce n'est pas rien, même si on peut faire mieux ", pendant qu'un ancien ministre algérien, proche du sérail, relève que le montant équivaut à peine à la masse salariale annuelle du... Real de Madrid. Moitié vide ou moitié plein, l'argumentaire s'étoffe lorsque un diplomate français rappelle que " les investissements directs étrangers en Algérie partent d'un niveau très bas ". Il faudrait donc se souvenir du no man's land d'où sort ce pays avant de réclamer ici et maintenant un niveau d'investissements directs équivalent à ce que reçoivent la Tunisie et le Maroc. En définitive, Alger, où l'on pense que la France aurait dû être " le sherpa du monde " en Algérie, aurait raison de se montrer déçu et Paris n'aurait pas tort de s'engager à pas mesurés sur ce qui était il n'y a pas si longtemps un champ de mines. Deux observations à propos de cette valse bafouillée. La première est rétrospective. Les chefs d'entreprise français sont peut-être ceux parmi leurs pairs investisseurs dans le monde qui ont été les plus exposés aux images du bain de sang algérien et les plus travaillés par la suggestion politique d'un chaos sans fin dans ce pays. La proximité Algérie-France a joué à rebours dans ce cas. L'immense difficulté avec laquelle Air France est revenue en Algérie est symptomatique de ce point de vue. C'était une erreur algérienne que de penser les Français venir plus vite et en plus grand nombre que les autres. Maintenant que la proximité joue dans le bon sens et que l'impact des images précédentes s'estompe, la France est très certainement au seuil d'une grande percée de ses entreprises en Algérie. La seconde observation est prospective. Le capital français ne viendra peut-être pas dans les activités où on l'attend le plus. Le tissu économique français a évolué. Il ressemble de plus en plus à la future technopole de Sidi Abdellah et de moins en moins à la zone industrielle de Rouiba où il n'est toujours pas venu reprendre la filière véhicules industriels qu'il connaît si bien. Banques, gestion d'équipements, management hydrauliques, réseau télécommunications, e-business, solutions d'entreprises, tourisme, grande distribution, transports : le récent accord cadre entre les deux postes conforte les services comme locomotive de l'implantation française en Algérie. Il faudra bien un jour faire avec et cesser de rêver d'une délocalisation de l'assemblage de l'Airbus de Toulouse vers Oran.