Aujourd'hui, le Festival de Locarno se prépare à clôturer sa 66e édition. Parmi les films sélectionnés, Les Jours d'avant, troisième et dernier film réussi, du cinéaste algérien, Karim Moussaoui, en compétition internationale du court métrage. Plongeant deux adolescents, Jaber et Yamina, dans la spirale de la décennie noire, Moussaoui réussit le pari de conter une petite histoire en se servant subtilement de la grande. Rencontres. - Karim Moussaoui. cinéaste : le titre du film renvoie au fait que nous ne soyons pas encore guéris des années 1990
Ce qui frappe d'emblée dans le film, c'est le traitement scénaristique que vous utilisez surtout d'une période comme celle de la guerre civile qu'a connue l'Algérie des années 1990 Ça parle forcément de la période des années 1990, mais en même temps, je ne voulais aucunement rentrer dans un discours, voire des explications sur cette période assez confuse. Ce film se déroule dans le sud d'Alger, en 1994. On y suit deux personnages, Jaber et Yamina, qui sont rattrapés par la réalité des choses. Mais il ne faut surtout pas y voir un film qui questionne frontalement et uniquement cette période. Je ne peux que donner un point de vue de comment des adolescents de cette période ont vécu la chose. Ce qui m'intéresse, c'est de raconter l'état dans lequel se trouvaient ces personnages, leurs rêves, doutes, joies, de montrer leur quotidien. De comment on sentait les choses. Le titre du film renvoie par exemple à ce que nous vivons maintenant, le fait que nous ne soyons pas encore guéris des années 1990. L'idée du film devait sensibiliser un spectateur de 2013 sur une période passée. Personnellement, c'est à ce moment-là que ma vie a été bouleversée... un changement forcé. Après, le film devait prendre une direction où je me sentais à l'aise, où mes plans devaient conserver une force suffisamment cinématographique, qu'ils permettraient de donner au spectateur la possibilité d'être avec mes personnages, de les accompagner, de ne jamais être au-dessus ou derrière.
Comment est né ce projet ? Je me suis retrouvé au Maroc, fin 2010, pour travailler sur un projet de long métrage, et ce, à travers l'atelier Meditalents. J'y ai débuté la première session. C'est là que j'ai rencontré Virginie Legeay, l'une des intervenantes, et avec laquelle la connexion s'est rapidement opérée. Nous avons commencé à travailler sur le projet et puis, on nous a demandé d'écrire un scénario de court métrage, afin de présenter mes personnages du long. Et c'est là que le scénario des Jours d'avant est né. Virginie lit le projet et très vite, elle décide de me produire. Quant à Adila, elle a vu mes deux premiers films (Petit-déjeuner, Ce qu'on doit faire), puis très vite a voulu se lancer dans le projet et c'est comme cela que le film est produit par Les Loupiottes et Taj'Intaj.
- Mehdi Ramdani. comédien : la comédie, j'y prends goût
Comment vous vous sentez après avoir vu ce film ? Je l'ai vu dans des conditions particulières. Juste avant l'enregistrement de la voix off. J'étais assez surpris. Quand j'avais lu le scénario, je pensais que le film serait plus long, car lorsqu'on me disait qu'il n'y aurait que 45 minutes, je ne voulais pas trop y croire. Je me mettais à la place du spectateur, du réalisateur et je ne savais pas trop comment m'y prendre. Il faut dire aussi que mon jeu dans ce film était plutôt minimaliste, donc je songeais à la réceptivité de la personne qui regardera le film. Je craignais qu'elle s'ennuie. J'avais l'impression qu'il n'y avait rien d'extraordinaire dans ce que je faisais. Et après coup, j'ai compris que je faisais fausse route.
Avez-vous accepté rapidement le scénario ? Oui. Karim Moussaoui m'en avait parlé en amont puis il m'a envoyé le scénario. Même si je n'ai pas fait beaucoup de films, j'ai toujours ce personnage, assez réservé, qui ne s'impose pas, gentil, limite faible. je pense notamment à mon rôle dans Demain, Alger (Amin Sidi-Boumediène), même si dans le film de Karim, je suis beaucoup plus présent dans les plans. Quoiqu'il en soit, dès que j'ai reçu le scénario, je me suis tout de suite lancé.
Vous n'avez jamais effectué de formation de comédien ? Je suis artisan-bijoutier après avoir effectué une formation de 3 ans. J'ai ouvert mon atelier et j'ai commencé à bosser. L'acting s'est fait par hasard, après que j'ai rencontré Yacine Bouaziz et Fayçal Hammoum, de chez Thala Production. Jamais, auparavant, je ne songeais à faire une carrière. Pour moi, après Demain, Alger, à aucun moment, je me suis vu dans d'autres films. Après, Sofia Djama débarque avec Mollement, un samedi matin, puis Anis Djaâd avec Le Hublot, puis le film de Karim. Je ne suis pas du tout carriériste, je prends ce qui vient sans trop me poser de questions. J'ai des projets en tant qu'artisan-bijoutier, c'est un métier, le mien, qui me tient à cœur. A côté, il y a la comédie. Si ça doit s'arrêter, c'est la vie, même si j'y prends goût de plus en plus. La comédie, c'est une grande parenthèse.
En vous écoutant, nous avons cette impression d'une certaine simplicité dans le métier... Bah ! c'est ça. Je ne pense pas qu'il faille se prendre la tête autant que ça. Sur le tournage Les Jours d'avant, Karim me donnait des directives, je les suivais. Parfois, j'étais intrigué par ses suggestions, mais il savait exactement où il voulait aller, donc je l'écoutais. En fait, ça ne change pas d'un tournage à un autre. Ça passe ou ça casse. Au final, le personnage que je m'étais imaginé était complètement différent de celui découvert dans le film. Tout est une question de confiance vis-à-vis du cinéaste qui joue avec ton image.
- Adila Bendimerad & Jaber Debzi. Producteurs (Taj Intaj) : le scénario est l'un des plus riches que j'ai lus
Comment êtes-vous tombés sur ce projet ? Adila Bendimerad. Quand j'ai rencontré Karim, il m'avait parlé de son long métrage dans lequel il avait pensé à moi pour un rôle. Bien avant de lire le scénario, il m'avait raconté le film. Et tout de suite, ça m'a plu. Se sont écoulées quelques années avant que nous commencions à travailler ensemble sur ce projet. Entre-temps, j'effectuais des tournées théâtrales. Quant à Karim, il n'arrivait pas à trouver un producteur pour son film. J'étais étonnée par cet échec surtout qu'un jour, je croisais un de ces producteurs sur Alger qui m'avoua qu'il ne pouvait se lancer dans ce projet, car le propos lui paraissait trop compliqué. Personnellement, je trouve que le scénario est l'un des plus riches que j'ai lus jusqu'à présent. J'avais dans l'idée de monter une société de production, Karim se trouvait sur mon chemin. Je me suis lancée. J'ai proposé l'idée à Jaber, il a accepté et on a ouvert la boîte. Karim est un cinéaste que j'avais envie de voir s'exprimer surtout après son deuxième film, Ce qu'on doit faire. C'était primordial pour moi.
Avez-vous rencontré des complications pour la fabrication du film ? Adila Bendimerad. Il n'y a pas eu de complication qui fait douter du projet. Pour moi, le producteur doit faire confiance au réalisateur. Personnellement, j'y crois. Il y a beaucoup de réalisateurs que j'estime, mais je préfère ne pas me lancer dans leurs projets, comme si le risque que j'encourrais ne correspondrait pas à mes attentes de productrice. Maintenant, il peut y avoir des difficultés face aux rapports humains, mais ça fait partie du métier. Après, il y a une grande tristesse. Nous voyons aujourd'hui un réveil du cinéma algérien ou de ce que l'on peut appeler «nouvelle génération», Karim en fait partie, et j'ai donc l'impression que le concernant, il n'y a pas eu réellement de soutien, d'intérêt de la part du ministère de la Culture, du Fdatic. Nous avons reçu une réponse négative, sans de réelles explications, et je n'ai toujours pas compris qu'il n'y ait pas eu de soutiens pour ce genre de film. D'où des difficultés financières. Jaber Debzi. Il n'y avait pas d'arguments de la part de cette commission de lecture. C'était effectivement triste, mais cela ne m'a pas étonné. Après, si vous observez le générique final, vous y trouverez des sponsorings, car à un moment donné, ce fut la solution primordiale. Maintenant, il faut savoir que les sommes reçues allaient de 200 000 à 500 000 DA. Au total, ces sponsors représentaient un petit plus de la moitié du budget du film. L'autre moitié a été investie par les fonds de Taj'Intaj. Nos propres fonds. D'où là encore cette grande tristesse de n'avoir pas eu le Fdatic, surtout que nous avions eu le CNC. Adila Bendimerad. Il y a des enjeux de cinéma dans ce pays… où êtes-vous ?