Depuis plusieurs jours, une partie du bois jouxtant la présidence de la République est livrée à la destruction au bulldozer et autres engins de terrassement. Des dizaines de pins d'Alep et d'acacias, dominant le boulevard Souidani Boudjemaâ au niveau de l'ex-Colonne Voirol, ont été arrachés pour faire place, dit-on, à une future trémie destinée à désengorger la circulation automobile au niveau de ce carrefour important de la capitale. La rapidité et le zèle constatés dans la manière de mener ces travaux, qui ont d'ores et déjà mobilisé d'importants moyens, laissent supposer que l'urgence d'un tel ouvrage a été soulignée et décidée au «plus haut niveau». Les riverains, qui subissent jour et nuit les désagréments liés à la pollution et au bruit, ne se font guère d'illusions. D'aucuns n'ont pas manqué de souligner qu'il s'agit avant tout de faciliter l'entrée et la sortie des véhicules officiels du palais de la présidence de la République et d'éviter le «bouchon» aux heures de pointe. Le moment choisi pour mener de tels travaux tambour battant n'est pas fortuit, l'été est le moment où tout le monde est en vacances, les associations de protection de l'environnement davantage occupées par l'entretien du littoral et des plages. Bref, l'occasion de mettre tout le monde, citoyens et associations, devant le fait accompli : trop tard pour empêcher le saccage de la nature et du patrimoine forestier par les tenants de l'autoritarisme. Lesquels ont malheureusement démontré par ailleurs leurs capacités prédatrices vis-à-vis de l'économie et des ressources nationales, dont la «vente au noir» de pétrole au profit de quelques pontes du régime et de leur parentèle n'est pas des moindres. Ces «mokhaznis», comme se plaisait à les qualifier le défunt M'hammed Yazid, font une fois de plus preuve de leur «maestria» dévastatrice où même la nature n'échappe pas à leur vindicte sans limite. Cet événement n'est pas sans rappeler le saccage scandaleux d'un autre bosquet de la capitale, sur les hauteurs de Hydra, aux fins de construction d'un parking au profit d'un «fils de», ou encore celui d'une partie de la forêt de Bouchaoui et des orangeraies qui lui faisaient face pour l'édification d'une résidence d'Etat jusqu'à présent inoccupée et son «boulevard VIP» ainsi que le futur palais des congrès dont on se demande à quoi il pourrait servir, situé à 100 mètres à peine de celui du Club des Pins, en relâche comme on dit dans le métier depuis des années et 12 mois sur 12 faute d'activités. Là aussi, il ne faut pas être grand clerc pour deviner les réelles motivations des commanditaires de ces crimes contre la nature et les biens de la collectivité nationale. Face à autant d'agressions au quotidien, on ne peut s'empêcher d'envier le courage et la bravoure des Turcs qui n'ont pas hésité à sortir dans la rue pour dénoncer les abus d'un régime autoritaire qui s'en est pris, lui aussi, à un des squares les plus célèbres d'Istanbul. Le pays en a été tout remué.