Les édifices de style colonial, qui font le charme de cette ville, l'une des plus importantes de haute-Kabylie, disparaissent. A tout jamais. Faute d'entretien de la part des propriétaires privés, mais en raison surtout de l'absence de décisions des autorités locales. A mesure que disparaissent les vieilles bâtisses coloniales, apparaissent des bâtiments sans grâce. Le centre-ville historique de la commune de Larbaâ Nath Irathen, anciennement appelée Fort national, change. Un pan de l'histoire de cette région, longtemps place forte durant l'époque coloniale, risque de s'en aller. A tout jamais. Faute d'entretien de la part des propriétaires privés, mais en raison surtout de l'absence de décisions des autorités locales. Les édifices de style colonial, qui font le charme de cette ville, l'une des plus importantes de la haute Kabylie, disparaissent. Les transformations, apportées au début à la «rue d'en bas» après la disparition des vieux gérants d'échoppes, touchent actuellement la rue principale. Des bâtisses, qui rivalisent en hauteur et en horreur, sont construites par des propriétaires sans goût. Les charmants balcons des vieilles constructions laissent place le plus souvent à des façades bétonnées hideuses. Les concepteurs n'ont guère le souci de préserver le cachet architectural d'une ville dont les routes s'étaient dégradées après des travaux de voirie menés à la hâte par les services de l'APC. «L'ancien maire avait voulu refaire des choses dans la ville. Il n'a pas eu le temps nécessaire. Il voulait reprendre au moins le réseau d'assainissement sous-dimensionné, datant de l'époque coloniale. Il s'en est allé sans rien faire. L'APC actuelle n'a rien entrepris de sérieux pour faire respecter aux gens les règles élémentaires de l'urbanisme. Le laisser-aller a même touché les bâtiments réalisés sous l'impulsion du général de Gaulle (Plan de Constantine de 1958, ndlr) à Djambou et au 32. La faute à qui ? Tout le monde est à blâmer, aussi bien les autorités locales que les citoyens», estime ce jeune chauffeur de taxi qui voit, de sa station, sa ville changer au fil des jours. Pourtant, la région ne manque pas d'atouts qui pourraient en faire un centre touristique d'une grande importance dans toute la région. Des «noms et des lieux» racontent une ville dont la réputation a précédé l'entrée du maréchal Randon, qui y a rencontré une résistance farouche des Irathen, puissante tribu qui a fait le coup de feu lors du débarquement même des Français de 1830. L'actuelle caserne, où se trouve toujours la tombe d'un saint des Ichariwen (village originel du poète de l'errance Si Muh U Mhand), réoccupée en 2001, pourrait devenir, si les bidasses lèvent le camp, un musée ou même un centre des arts comme l'ont suggéré les rares militants locaux du patrimoine. Des noms et des lieux La ville a vu la naissance et le passage de nombreuses personnalités importantes qui y ont effectué des séjours plus ou moins longs. Des personnages de premier plan y ont vécu ou fait une halte : en plus des natifs de la région, Saïd Boulifa, Mohand Saïd Lechani, Ahcène Mezani, la ville a reçu la visite, entre autres, de l'empereur Napoléon III, dont elle a pris au début le nom, Messali Hadj, Ben Badis, François Mitterrand... Mais celui dont la ville a inspiré le travail est Mouloud Feraoun, qui en parle abandonnement dans ses œuvres, particulièrement dans son Journal (1955-1962), commencé à Fort national en novembre 1955. L'auteur du livre Les Chemins qui montent (forte allusion à la région) a été nommé en 1952 directeur du Cours complémentaire de l'école de la ville toujours ouverte. Construit au début des années 1950, l'établissement, qui porte actuellement le nom de Amari Messaouda, pourrait accueillir des cohortes d'élèves ou même les lecteurs (ils sont nombreux !) que l'œuvre de l'écrivain de Tizi Hibel passionne. Autre lieu de mémoire, la place Abane Ramdane, lui aussi digne fils de la farouche tribu des Irathen. Aménagé en 1995 par les autorités de la wilaya grâce à l'apport de sa famille, l'espace, où trône la statue du héros natif de Azzouza, aurait dû être réhabilité et mis à profit. Un musée était prévu dans les sous-sols. Rien de tout cela n'a été réalisé pour on ne sait quelle raison. Le piédestal de la sculpture, l'esplanade et les locaux sont toujours à l'abandon. Chose pourtant réjouissante : une maison d'édition a vu le jour à Larbaâ Nath Irathen. Le gérant est connu de tous : Omar Kerdja, chercheur spécialisé reconnu de l'histoire de la ville, a pris la décision courageuse de monter sa boîte. Deux livres sur la région (l'un sur l'histoire et l'autre sur le figuier) apparaissent déjà dans son catalogue qui promet d'être plus étoffé. Des amoureux de leur ville comme Kerdja, on en compte beaucoup. Chacun voulant voir se perpétuer l'histoire de leur ville. Certains, à l'instar de la chercheuse Lynda Ouar (voir l'entretien), lancent des blog (http://larbaanathirathen.blogspot.com/), ou même des comptes sur le réseau social facebook. D'autres ont même créé des associations de préservation du patrimoine matériel et immatériel de la région. Avec toutes ces personnes de bonne volonté, la ville, soutiennent ces Irathen, ressuscitera. «Berchtesgaden», telle que la nomme Hocine Aït Ahmed dans ses mémoires, gardera l'œil sur toute la Kabylie. Les chemins monteront toujours…