La Mostra de Venise a applaudi le cartoon de 9 minutes de Rachid Bouchareb inspiré de la tragédie de Camp de Thiaroye au Sénégal. La même histoire a été portée à l'écran par Sembène Ousmane dans une coproduction algérienne. Elle a aussi applaudi très fort le film du Sud-Africain Ramadan Suleman, Zulu Love Letter, fiction qui balaye le champ politique post-apartheid et laisse croire que, dix ans après, l'espoir suscité par la commission de réconciliation et de vérité (Truth and reconciliation commission, décidée par Nelson Mandela), Soweto a perdu toute certitude. Jour après jour, des familles entières vont témoigner devant la commission, ils ont perdu leurs fils et leurs filles massacrés par les racistes blancs. Mais la commission ne donne aucune suite. Aucune enquête n'a abouti. C'est l'amnésie totale. Les suppôts de l'apartheid courent toujours. Peu importe si la narration de Zulu Love Letter est confrontée à une faiblesse dans la mise en scène, les témoignages qu'apporte Ramadan Suleman sont troublants, choquants même (d'autant plus que Nelson Mandela avait mis tout son poids de héros national dans cette démarche). Un autre film très politique (impitoyable pour Bush et le gouvernement américain), c'est celui de l'acteur et réalisateur américain aussi, Tim Robbins. Autant le dire tout de suite, l'acteur très distingué qu'est Tim Robbins est en colère contre la décision désastreuse de la guerre en Irak et de la perte déjà de plus de 1000 jeunes soldats américains (sans compter les dizaines de milliers de civils irakiens, y compris des femmes et des enfants). Son film Embedded/Live, montré dans la section cinéma digital, dénonce aussi très clairement les médias américains. Cette satire féroce était d'abord une pièce de théâtre jouée à Los Angeles dans une petite salle en juillet 2003. Tim Robbins en a fait un film. Après Venise, il compte le montrer dans d'autres festivals. Au risque de souligner la grande faiblesse du cinéma italien actuel, la Mostra a créé cette année une très bonne section intitulée : « Storia secreta del cinema italiano ». C'est pour ressortir certaines œuvres qui ont connu un succès important il y a 20 ou 30 ans. Parmi ces films revus à la Mostra, les westerns spaghettis, comme les œuvres irremplaçables de Damiano Damiani, Ferdinando Paldi, Sergio Sollima... Des films hors norme Réalisés comme des antidotes au cinéma néoréaliste, ces films, peu académiques parfois même hors norme comme le travail de Sergio Leone, sont demeurés dans la mémoire des cinéphiles des années 1970. C'est Damiano Damiani qui a fait tourner Gian Maria Volonte et Klaus Kinski dans un western historique qui se passe au Mexique pendant la révolution : Une balle pour le général. C'est Sergio Solliman qui dirige Thomas Milian dans La resa dei conti, aux côtés de Lee Van Cleef, juste sorti des westerns de Sergio Leone (Pour une poignée de dollars et Le bon, la Brute et le Truand). Enfin, c'est Ferdinando Baldi qui dirige Ringo Starr, le sympathique batteur des Beatles, dans Il Pistolero Cieco dans un sombre duel qui se passe dans les mines du Texas. Le plus surprenant dans cette aventure des westerns spaghettis, c'est qu'on retrouve dans le même groupe des gens qui ont travaillé avec Bertolucci ou Pasolini...Et pendant ce temps-là, dans le petit territoire (lui-même fictionnel) du Lido de Venise, on attend le palmarès. Les journaux italiens sont persuadés que le lion d'or sera pour Gianni Amélio, alors que son film Les clefs de la maison est plein de stéréotypes et manque d'invention. Ne parlons pas de l'autre film italien de Michel Placido totalement naïf. Bref, les meilleures créations sont venues d'Asie, de Corée du Sud ou du Japon. Voire l'indéniable réussite de Café lumière, de Hou Hsiao-Hsien, cinéaste de Taiwan qui a tourné son film à Tokyo et l'a dédié à Yasujiro Ozu (dont c'est le centième anniversaire de la naissance). Un film très beau et très surprenant. Une jeune fille écrivain de retour de Taiwan annonce à ses parents qu'elle est enceinte. Elle retrouve un ami libraire, qui est aussi très attiré par les trains. Sur ce canevas très simple plane, en effet, l'ombre des mises en scène magnifiques d'Ozu : les petits détails sur la vie quotidienne, sur les relations humaines, Tokyo étant filmé au jour le jour sans artifice dans ses incroyables enchevêtrements ferroviaires. Comme dans Ozu, les personnages sont peu bavards. Un laconisme surprenant dans cette mégapole où des millions de gens circulent et se croisent jour et nuit. Il n'y a pas de pleurs ni de rires. Lorsque Yoko (la jeune fille) annonce la nouvelle à ses parents, son père ne dit pas un mot. Sa mère à peine deux ou trois questions sur le père de l'enfant : il s'avère que c'est un étudiant de Taiwan qui apprenait le japonais dans la classe de Yoko. Dans ce Tokyo peuplé de personnages si peu loquaces, la caractéristique principale c'est l'image et le son. Il est évident que Hou Hsiao-Hsien est fasciné par le capitale japonaise. Il en fait un portrait superbe, très visuel, avec des gens qui ne remuent presque jamais les lèvres à l'écran.