Les ensorcelés de Vincente Minelli, diffusé sur Arte, est un titre phare de l'âge d'or du cinéma hollywoodien. Réalisé en 1952, sur un scénario magistral de Charles Schnee, Les ensorcelés (The bad and the beautiful) est un drame psychologique dans lequel Minelli trace le portrait saisissant de Jonathan Shields, producteur ambitieux et amoral, dénué de tout sentiment humain, un monstre de suffisance, d'égoïsme et de cruauté. Jonathan Shields, à qui l'on rappelait qu'il avait de qui tenir car son propre père était un « salaud », rectifia ainsi le jugement : « C'était LE salaud. » Cette réplique donne toute la mesure de la noirceur d'âme d'un personnage qui ne respectait rien ni personne. Son père était si honni dans tous les studios d'Hollywood qu'à sa mort Jonathan Shields dût payer des figurants pour assister à son enterrement. Il ne le fit pas par filiale compassion mais parce que c'était pour lui le moyen approprié de s'immiscer dans l'univers du cinéma. Un univers en forme de champ de bataille où les coups bas sont la règle qui guide une guerre sans merci pour la conquête de la gloire. Jonathan Shields fait la connaissance de Fred Amiel, jeune réalisateur qui nourrit des rêves de grandeur. Fatale rencontre car Jonathan Shields, producteur autoproclamé, va utiliser le talent de son ami pour imposer son nom, s'engageant ainsi dans la voie royale de la notoriété. Il écrase dès lors tout sur son passage, humiliant et asservissant même ceux qui lui avaient permis de s'élever. Ce caractère foncièrement cynique désigne Jonathan Shields comme un névrosé égocentrique qui se croit le centre du monde. Cette boursouflure identitaire le pousse à faire du mal par calcul et parce que c'est sa nature foncière de faire du mal puisqu'il pense qu'un tel comportement est un attribut de pouvoir. Parvenu à la toute puissance dans les studios, Jonathan Shields donne libre cours à son tempérament de tyran imbu de sa petite personne. Il ne tolère pas que quiconque le conteste et licencie sans autre forme de procès un réalisateur qui avait osé le remettre à sa place. L'amitié qu'il avait témoignée à Fred Amiel était bien sûr factice, tout comme l'amour qu'il avait inspiré à Georgia Lorrison dont il ne fera une vedette de l'écran que pour mieux la rabaisser. C'est aussi le cas du romancier James Lee Bartlow dont Jonathan Shields provoquera volontairement le décès tragique de l'épouse. Ce sont tous ces personnages qui sont réunis pour attendre un appel de Jonathan Shields qui, d'échec en échec, est tombé plus bas que terre.Tous refusent de lui tendre la main pour l'aider à relancer sa carrière. La moralité est claire : plus dure est la chute. Les ensorcelés, écrit et réalisé de main de maîtres, est un film à clé. Dans le profil de Jonathan Shields, Charles Schnee a mis un peu de Darryl Zanuck, des frères Goldwin et du redoutable producteur Jack Warner. Ce dernier régnait en dictateur sur ses studios, contrôlant tout dans le moindre détail. Il se permettait même de décider la forme de moustaches d'Errol Flynn, acteur emblématique des années trente et quarante, dans ses films de cape et d'épée. Jack Warner, comme Sam Goldwin ou Darryl Zanuck, se prenait pour un être d'exception. Il avait voulu faire des héros hollywoodiens. James Cagney, Edward George Robinson, Humphrey Bogart, ses vedettes attitrées, étaient comme lui des personnages courts sur pattes et hargneux dans la vie comme à l'écran. Un documentaire qui défend cette thèse montre Jack Warner trônant comme un roi au milieu de son personnel. Jonathan Shields était aussi, dans Les ensorcelés, le roi sans couronne d'un royaume virtuel, celui des images. Ce film magnifique de Vincente Minelli n'a pas pris une ride. Il est en fait toujours d'actualité. Les ensorcelés est du niveau de ce sublime Boulevard du crépuscule de Billy Wilder (Sunset Boulevard) qui enchantera toujours les passionnés du beau cinéma. Les ensorcelés est aussi une oeuvre de référence qui a marqué l'esthétique. Le scénario impeccable de Charles Schnee, construit en flashes-back et fondé sur le recours à la voix off, a influencé de nombreuses oeuvres dont l'époustouflant Nous nous sommes tant aimés du réalisateur italien Ettore Scola. C'est véritablement un film d'école qui dépasse en profondeur philosophique Le dernier nabab, ce film que tourna Elia Kazan au crépuscule de sa vie professionnelle.