Alors qu'on le disait affaibli et malade, le président de la République qui a multiplié les apparitions télévisées ces derniers jours a signé son retour sur la scène publique par un remaniement ministériel qui a touché quasiment la moitié du gouvernement. Une démarche dans laquelle les observateurs voient des portées politiques liées aux prochaines échéances électorales. Sur le plan économique, 5 ministres en charge des départements économiques ont été touchés par cette manœuvre, soit à travers une éviction pure et simple (Benaïssa, Rahmani, Messaïtfa), soit à travers un changement de ministère (Benyounes Benmeradi), alors que deux nouveaux arrivants ont fait leur apparition à la tête du ministère de l'Agriculture et du ministère délégué au budget, nouvellement créé. Si s'attendre à une quelconque modification d'orientation économique suite à ce remaniement est exclu, étant donné qu'on est à moins de 8 mois de l'arrivée — ou pas — d'un nouveau président à la tête du pays, certains changements apportés méritent d'être relevés. La suppression de la PME dans la dénomination du ministère de l'Industrie à laquelle elle était rattachée, le changement du ministre en charge de cette dernière alors qu'on est à quelques jours de la tripartite au cours de laquelle la nouvelle stratégie industrielle devait être présentée et l'adjonction d'un ministère délégué au budget au ministère des Finances. Cela laisse penser à des changements de façade car, «l'enjeu est davantage politique qu'économique», souligne le sociologue Nacer Djabi. Et l'enjeu politique est important puisqu'il a «un lien avec la prochaine élection présidentielle et le clan du président Bouteflika, mais cela n'est pas nouveau». Le remaniement s'est soldé par l'éviction entre autres de Amar Tou, Cherif Rahmani, Abdelaziz Ziari et Rachid Harraoubia, ce qui n'est pas fortuit. On pensait que le président était «faible physiquement et politiquement», mais «le message qu'il vient de transmettre traduit une volonté de contrôler les prochaines élections quelque soit le successeur», explique notre interlocuteur. Le chef de l'Etat a «éloigné les groupes qui avaient des ambitions politiques et étaient susceptibles de jouer un rôle dans un jeu politique plus au moins autonome». Il a aussi gardé «le contrôle sur les ministères de la Justice et de l'Intérieur à travers Belaïz et Louh». Hormis l'enjeu politique, M. Djabi pense que «les autres questions sont de moindre importance». Avec un Conseil des ministres qui ne s'est pas réuni depuis décembre 2012, cela signifie qu'on «continue dans une politique économique et sociale basée sur la corruption de la société, surtout à travers le logement et la rente. Le but n'est pas de relancer la machine économique». Le remaniement servirait donc davantage à maintenir le «statu quo», à quelques mois d'une échéance importante, estime le professeur d'économie Kouider Boutaleb. L'objectif était surtout de «changer des personnes qui véhiculent des visions qui peuvent ne pas cadrer avec ce que le cercle décisionnel entend adopter comme programme politique ultérieur». Car dans le fond, «il n'y a pas de changement, c'est pratiquement les mêmes ministres qu'on a repris et qu'on a permutés», à quelques exceptions près. Le budget à la loupe La création d'un ministère délégué au budget semble «justifiée», selon M. Boutaleb compte tenu de la situation des finances publiques ces dernières années et la dernière mise en garde de la Banque d'Algérie quant à leur gestion. Le budget porte sur «des actions lourdes qui nécessitent contrôle et projection et peut être qu'on a voulu un peu décharger le ministère des Finances de cette charge». Il s'agirait donc de donner «plus de souplesse dans la gestion du budget», indique un spécialiste des questions de finances publiques. La question de la gestion budgétaire est devenue «cruciale et urgente», estime un expert financier. «Avant, on n'y voyait pas l'intérêt, mais maintenant les questions budgétaires vont être une préoccupation réelle du gouvernement». Récemment encore, la Banque d'Algérie appelait à «la prudence budgétaire», en mettant en avant «la vulnérabilité» des finances publiques, résultat de plusieurs années de dépenses publiques excessives. Le nouveau ministère délégué aura donc à «gérer un déficit abyssal», souligne notre interlocuteur. Il aura en charge «la Comptabilité nationale et cela ne peut pas attendre 2014». Pourtant, certains économistes estiment que «le timing est inapproprié» pour cette création étant donné qu'on se dirige «vers une reconfiguration du paysage politique et institutionnel à très court terme et peut-être une révision au niveau des ministères et des nominations». Une telle création «était demandée depuis longtemps au niveau du ministère des Finances, mais on aurait pu attendre ces six ou huit mois avant de penser véritablement mettre les institutions solides pour un autre mandat plus long où les choses peuvent être inscrites dans un moyen terme avec des missions bien définies plutôt que de prendre des décisions et revenir dessus», note Zine Barka, professeur de sciences économiques. La PME et l'industrie dans l'expectative Par ailleurs, avec le nouveau ministère du développement industriel et de l'Investissement, la dénomination PME a été supprimée. Mahfoud Megatli, secrétaire général de la CGEA considère que «c'est une énigme». Peut-être que dans leur conception, la PME est intégrée à la stratégie globale qui sera prise en charge par le ministère de l'industrie. Pour le professeur Boutaleb, «on peut créer un département spécifique à la PME sans créer de ministère avec tous les moyens qu'il consomme pour des résultats quasiment nuls». La question est de savoir ce que fera le nouveau ministre de l'Industrie, Amara Benyounes, réputé ultra-libéral à la tête d'un secteur qui prônait sous l'ère Rahmani, la réhabilitation de l'outil de production national et le soutien aux entreprises publiques. Pour M. Megatli, une chose est sûre, «il ne pourra que préparer une vision de la situation, il n'y aura pas de temps pour faire autre chose, à moins de prendre des mesurettes, car il y a des échéances très rapprochées». Etant donné que M. Benyounes était précédemment à la tête du ministère de l'Environnement, la question que ce pose M. Boutaleb est de savoir «de quelle compétence et surtout de quelle vision va-t-il se prévaloir ? Va-t-il ressortir la stratégie de Temmar ou suivre le programme de Rahmani ?» Le fait est que «nous n'avons pas d'explication pour savoir pourquoi tel ou tel changement. Le manque d'études de perspective fait que c'est l'opacité et on se retrouve à spéculer sur ce que veut le pouvoir», dit-il. Pour les chefs d'entreprise, la prochaine tripartite qui doit se tenir à la fin de ce mois pourra apporter un début de réponse. «Pour l'instant, nous ignorons ce que le nouveau ministre fera, s'il va continuer dans la démarche de son prédécesseur et travailler sur les mêmes documents, ou alors s'il va changer de cap, auquel cas on saura que la question économique est reléguée au second plan», pense M. Megatli.