Le premier numéro du supplément Etudiant, ébauché et réalisé par une équipe de jeunes journalistes, vient étoffer la gamme des suppléments hebdomadaires qu'El Watan consacre à des segments spécifiques de la vie nationale. Il est vrai qu'il manquait à notre journal de se rapprocher des universitaires et de s'intégrer au plus près de la vie estudiantine. Chaque mercredi, ce sera chose faite. Aujourd'hui, une plongée en apnée dans les difficultés qu'ils rencontrent à l'orée de la nouvelle année d'enseignement. A la recherche d'une chambre universitaire, le parcours du combattant « C'est la cinquième fois que je me déplace à Alger pour régler mon dossier de demande de chambre universitaire et je n'y arrive toujours pas», s'offusque Naïma, 18 ans, de Aïn Defla. En juillet dernier, elle a décroché son bac avec mention. Elle compte intégrer la faculté de médecine d'Alger car sa moyenne le lui permet haut la main, mais pour elle, rien n'est encore gagné. Chaque année, ils sont des milliers d'étudiants à rejoindre les grands pôles universitaires, notamment ceux d'Alger, Constantine et Oran, pour y suivre un cursus universitaire. Ils sont près d'un million d'étudiants à se disputer les quelque 580 000 lits disponibles. Mais comme à l'accoutumée, l'indisponibilité des chambres pose problème. «Tout le monde veut étudier à Alger et trouver une chambre dans les cités universitaires situées à proximité des campus, ce que nous ne pouvons pas satisfaire. Les résidences du Grand-Alger sont saturées», nous explique un haut responsable au ministère de l'Enseignement supérieur. Pourtant, l'ex-ministre de l'Enseignement supérieur avait promis, en août dernier, la livraison de quelque 70 700 lits supplémentaires pour atteindre le nombre de 651 000. Pour Naïma, il s'agit de son premier contact avec le monde de la bureaucratie. «Certes, au début tout paraissait facile, notamment lors des journées d'orientation organisées à l'université pour nous accompagner dans le processus d'inscription. Hélas, nous avons été vite rattrapés par la réalité, et elle est amère, tout est compliqué. Pour obtenir une chambre, c'est un vrai parcours du combattant», affirme-t-elle, accompagnée de son frère Abdellah, méfiant, qui inspecte tout et est à l'affût de la moindre information contrariante pour persuader ses parents d'annuler la scolarité de sa sœur à l'université. «Je ne vous cache pas, dès le départ j'étais contre cette histoire, mais mes parents la soutiennent, j'étais donc dans l'obligation de l'accompagner. Toute seule, elle risque d'être agressée ou violée», confie Abdellah en protecteur. D'un bureau à l'autre, tantôt c'est le dossier qui est incomplet, tantôt ce sont des prétextes d'ordre logistique qui sont avancés par les agents de l'administration. Corruption «Tous les jours, ils trouvent quelque chose à redire concernant mon dossier, une pièce qui manque, un cachet rond mal apposé, tout pour me saboter», dénonce-t-elle. Le dernier en date : l'indisponibilité de chambres. «Revenez dans une semaine, pour le moment nous n'avons plus de place, nous attendons que des chambres se libèrent», nous a annoncé le préposé au guichet. Son aventure continue et elle fait le trajet Alger-Aïn Defla tous les jours. «Je ne fais que cela et je finirai par l'obtenir, il est hors de question que je laisse tomber mes études, mon rêve est de devenir médecin et je le serai avec l'aide de Dieu.»Naïma n'est pas la seule dans cette situation. Djidjiga,19 ans, originaire de Bouira, s'est inscrite à l'institut de biologie de Bab Ezzouar. Pour disposer d'une chambre universitaire, ses parents n'ont pas lésiné sur les moyens. «Mon père a dû payer une connaissance de l'ONOU pour me trouver une chambre dans la cité de mon choix ; la plus proche était El Alia ou bien Rub 4, j'ai choisi cette dernière, elle me semble beaucoup plus sécurisée et proche des commerces», révèle-t-elle. Le business des chambres universitaires a pris de l'ampleur ces dernières années et nombre de parents se voient dans l'obligation de donner un «bakchich» pour réserver un lit à leurs enfants. Mourad, 18 ans, de Djelfa, issu d'une famille modeste, veut absolument faire des études de mathématiques. Pour ce faire, «y'a pas mieux que Bab Ezzouar, ma carrière se joue maintenant et rien ne m'arrêtera, quitte à dormir dehors», lance-t-il. Ses parents l'ont accompagné jusqu'à Alger dans l'espoir de lui trouver un toit. «J'ai tenté d'apitoyer l'agent de l'administration pour qu'il accélère la procédure, mais il ne voulait rien savoir», confie la mère de Mourad. Devant cette situation et vu le coût exorbitant de la location de chambre d'hôtel, son père abdique. «J'ai dû payer 15 000 DA que l'un des agents m'a proposé, je n'ai pas d'autre choix» se désole-t-il. Assocs Nous avons vainement tenté de joindre la direction de l'ONOU, mais aucun des responsables n'a daigné nous répondre, malgré notre insistance. Dans les différentes directions de l'ONOU, les agents rejettent la faute sur le nombre élevé des demandes, selon les étudiants. Pour d'autres, ce sont les associations estudiantines qui sont sollicitées, vu leurs entrées multiples dans les administrations. Fatima de Tissemssilt est passée par là. «L'un des responsables est originaire de ma région, nous l'avons sollicité et en une semaine, j'ai obtenu le sésame, une chambre dans la résidence de mon choix», se réjouit-elle. De nombreux témoignages corroborent et confirment l'immixtion des associations dans la gestion administrative. «Elles sont arrivées au point de s'ériger comme de véritables intermédiaires dans l'administration. Leur pouvoir, elles le tirent de leur accointance avec les milieux politiques, la plupart sont des satellites du FLN», explique le directeur d'une résidence universitaire. Devant cette situation, les agents de l'administration ne peuvent rien, «leur réseau leur permet d'influer sur les décisions et aucun responsable n'ose les contredire», affirme de son côté le directeur d'un institut. Selon d'autres témoignages que nous avons recueillis, «certains responsables de ces associations s'adonnent aussi à la pratique de la corruption». «Ils n'hésitent pas à demander des contreparties aux parents aisés et personne n'ose dénoncer cet état de fait», s'offusquent des étudiants résidents dans les différentes cités universitaires d'Alger. Le pire c'est qu'«avec le concours de l'administration, ces associations ont déclaré des cités complètes territoires autonomes, certains étudiants avec leur appui, refusent de libérer leur chambre, c'est la raison pour laquelle l'administration est incapable d'offrir des chambres supplémentaires à chaque rentrée». Squat Face à cette situation, les recalés semblent avoir trouvé l'astuce. Ils se débrouillent comme ils peuvent. «Grâce à la complicité de mes camarades, je me suis fait une place dans leur chambre, hélas je n'ai pas où aller, à moins que j'abandonne mes études. C'est hors de question !», se révolte Sofiane, étudiant en 2e année à l'USTHB. Pour Tassadit, sa famille est venue à la rescousse : «Ma tante m'héberge chez elle, car l'année dernière je n'ai pas pu obtenir une chambre. Cette année, je ne suis pas sûre de l'avoir. Et de toutes les manières, ma tante refuse que je la quitte, elle a peur pour moi à cause de toutes ces rumeurs qui nous parviennent des cités universitaires.» Ceci est une autre affaire. A suivre.