Nouvelles révélations concernant l'affaire Sonatrach-Saipem. A mesure que l'enquête avance en Italie, le montant des commissions versées par l'entreprise italienne pour obtenir des marchés en Algérie augmente. Il dépasserait déjà le seuil d'un milliard de dollars. Selon des informations de première main obtenues par le porte-parole de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), Djilali Hadjadj, des juges milanais en charge de l'enquête sur cette grosse affaire de corruption, Saipem aurait versé des commissions dont le montant global s'élèverait à 800 millions d'euros. «Les dirigeants de Saipem qui collaborent avec la justice italienne ont donné un certain nombre d'informations aux juges milanais concernant les commissions, pots-de-vin et micro-commissions. Selon les estimations faites par des juges milanais, les commissions globales s'élèveraient à pratiquement 800 millions d'euros, pour obtenir des marchés d'un montant de 11 milliards de dollars durant les 10 dernières années», affirme Djilali Hadjadj, contacté hier par nos soins. Le responsable de l'AACC qui a fait, fin août dernier, un déplacement à Milan où il a rencontré des experts, des militants associatifs et des collaborateurs des magistrats chargés de l'enquête, affirme aussi que l'ancien directeur général de Saipem a confirmé devant les juges le placement de 300 millions d'euros au niveau d'un certain nombre de places financières. «Il a confirmé les placements à hauteur de 300 millions d'euros, soit 100 millions de plus par rapport au chiffre de 200 millions annoncé auparavant, au niveau des places financières suivantes : Hong Kong, Singapour, Panama et les Iles vierges britanniques. Ces placements connaissent une mobilité et se déplacent d'un paradis fiscal à un autre. Les gestionnaires de fortunes pour les comptes de Chakib Khelil, de Farid Bedjaoui et des dirigeants d'ENI et de Saipem ont pour pratique courante de déplacer ces fonds d'un paradis fiscal à un autre selon le risque encouru et pour faire en sorte que ces placements soient moins identifiés», explique-t-il. Selon lui, la justice italienne cherche maintenant à retrouver la trace des 500 millions d'euros restants. «Les juges savent qu'il y a 500 millions de plus de pots-de-vin et de commissions qui ont transité par des paradis fiscaux. Ils essaient maintenant de trouver leur traçabilité pour savoir qui sont les autres cadres dirigeants de Saipem et de l'ENI impliqués», dit-il. Les «plaintes» des juges italiens Djilali Hadjadj fait part également de plaintes des magistrats italiens concernant plusieurs questions. Il y a d'abord la coopération avec la justice algérienne qui ne serait pas à la hauteur de leurs attentes. «J'ai eu à rencontrer des collaborateurs des magistrats en question. Et leur grande inquiétude est que la coopération et l'entraide judiciaire avec leurs homologues algériens est au point mort. Ils considèrent que du côté algérien, il y a de la mauvaise volonté», précise-t-il. Il y a également, ajoute notre interlocuteur, un problème d'incompétence parce qu'il s'agit de questions extrêmement épineuses. «Les magistrats italiens ont été désagréablement surpris par le niveau d'incompétence des magistrats qu'ils ont eu à rencontrer. Par ailleurs, ils estiment aussi que pour un certain nombre de juges, pas tous les juges algériens, leur mission était de soutirer des informations. Cette situation les agace, d'autant plus qu'ils pensent que les juges algériens essayent de leur tirer les vers du nez, alors qu'eux veulent une véritable coopération», indique M. Hadjadj. Cette réticence des juges algériens rappelle à leurs homologues italiens une mésaventure qui a eu lieu il y a 20 ans sur une autre affaire de corruption impliquant Sonatrach et des entreprises italiennes : l'affaire du gazoduc. «A l'époque, l'enquête de la justice italienne s'est arrêtée aux frontières algériennes», rappelle-t-il. Les Américains veulent «recruter» Farid Bedjaoui Les magistrats milanais se plaignent aussi des pressions exercées sur eux dans leur pays. «Ils nous ont fait savoir qu'ils subissent de très fortes pressions à la fois des autorités politiques italiennes et des lobbies des multinationales italiennes (ENI, Saipem). Ces pressions visent à dissuader les juges de poursuivre leurs enquêtes», indique-t-il. Evoquant l'autre affaire de corruption qui concerne l'entreprise canadienne SNC-Lavalin dans laquelle est impliqué également Farid Bedjaoui, le porte-parole de l'AACC relève «l'existence d'une bonne coopération entre les juges italiens et suisses». «Ce qui est inquiétant également est que du côté canadien, les choses n'avancent pas beaucoup. La gendarmerie royale canadienne et la justice de ce pays subissent d'énormes pressions de la part du pouvoir politique canadien», déplore-t-il. A ce sujet aussi, Djilali Hadjadj remarque une nonchalance des juges algériens qui ne se sont pas montrés intéressés par la proposition de leurs homologues suisses d'auditionner l'ancien vice-président de SNC-Lavalin, le Tunisien Rédha Benaïssa, emprisonné depuis plus d'une année en Suisse. «Pourtant ces pays (Suisse, Algérie, Italie) sont liés par la convention de l'ONU de lutte contre la corruption de 2003. Il y aussi des accords bilatéraux entre l'Algérie et l'Italie», enchaîne-t-il. Djilali Hadjadj revient également sur le cas Farid Bedjaoui et ses dernières tentatives de fuir vers les Etats-Unis. «Le statut de fugitif commence à peser lourd sur ses épaules ; il est indésirable dans les pays du Golfe, en France, au Canada. Il a donc multiplié les contacts informels avec des émissaires américains. Et comme le secteur du pétrole et du gaz est très sensible pour les USA, le gouvernement et des institutions spécialisées de ce pays sont extrêmement intéressés par le profil de Farid Bedjaoui. Il veulent le recruter car il constitue, pour eux, une mine d'or», souligne-t-il. Selon lui, Farid Bedjaoui a avancé, dans le cadre de sa démarche, les mêmes arguments que Abdelmoumène Khalifa, relatifs à «l'incapacité de la justice algérienne de lui assurer un procès équitable».