Le procès de l'affaire du naufrage du navire Béchar à son bord 16 marins au port d'Alger, le 13 novembre 2004, a pris fin avec un goût d'inachevé. Les cadres ont, de ce fait, été condamnés à de lourdes peines de 15 années de prison ferme. Il est vrai que de graves défaillances techniques ont été relevées sur les deux bateaux. Défaillances qui, peut-être, auraient pu aggraver leur situation. Les navires étaient dépourvus de certaines pièces et devaient être acheminés vers des chantiers de réparation. Leur place n'était pas celle où ils étaient parqués depuis plusieurs mois. Période où l'équipage vivait dans des conditions inhumaines, privé du strict minimum, à savoir l'eau, surtout durant le Ramadhan. Les témoignages des marins sur leur quotidien à bord de ces deux navires étaient hallucinants au point où certains ont comparé les deux bateaux à la tristement célèbre prison américaine d'Alcatraz. Leurs propos ont été suffisants pour justifier l'absence de certains d'entre eux le jour de la catastrophe, le 13 novembre 2004, à leurs postes de travail. Les deux commandants de bord du Batna et du Béchar ont volontairement autorisé certains membres de leurs équipages afin non seulement de rationaliser la consommation des vivres et de l'eau, qui manquaient à bord, mais également pour leur permettre de prendre une douche et de se changer. Arguments suffisants pour les décharger de l'accusation d'abandon des navires, dont la peine encourue est de 2 à 5 ans de prison, selon le code maritime. A ce stade, les gardes-côtes étant chargés de la mission de police des mers qui veillent au respect des normes de navigation ont eux aussi été défaillants. Tous les avocats, en se basant sur les dispositions du code maritime, ont mis en relief le fait que cette institution dépendant du ministère de la Défense nationale était au courant de la situation des deux navires et des mouvements anarchiques des deux équipages, mais n'est jamais intervenue. Sa défaillance est aussi responsable que celle de l'armateur dans la position de faiblesse des deux bateaux. Mais dans ce procès, les représentants de ces services étaient absents. Deuxième responsabilité de l'armateur est l'état défaillant des machines des deux navires qui auraient pu aggraver leur situation lors de la catastrophe. Mais lors du procès, la question est restée posée. L'assistance n'a pu savoir pourquoi le défunt Bidi, commandant du Béchar, dont les compétences professionnelles ont été reconnues par tous, n'a pas pu lever l'encre et rejoindre le large pour s'éloigner de la jetée Kheireddine, au moment où les vagues ont commencé à faire chavirer son navire. A-t-il eu des difficultés pour arracher l'encre enfoncée dans les rochers depuis plus de 4 mois ? Si c'est le cas, pourquoi n'a-t-il pas utilisé les méthodes connues par tous les marins dans ce genre de situation, à savoir cisailler tout simplement les chaînes de l'encre avec un chalumeau ? A-t-il eu des difficultés à faire marcher les machines avec uniquement deux générateurs au lieu de trois (un en panne) ? L'officier du port d'Alger avait déclaré, en tant que témoin, qu'à 16h50, le commandant du Béchar avait appelé la capitainerie pour demander des remorqueurs parce qu'il n'arrivait pas à cisailler la chaîne de l'encre, tout en précisant que la situation de son navire était grave. Bidi aurait pu prendre ses dispositions à l'avance si le bulletin météo qu'il a reçu n'avait pas annoncé une tempête de force 6 et 7 sur l'échelle Beaufort, à partir de 18h, alors qu'en réalité la force des vents était de 9 et 10 sur la même échelle et que les rafales avaient commencé dès 16h, pour tripler, voire quadrupler vers 16h50. Cités comme témoins, les anciens commandants du Béchar et du Batna ont donné au tribunal une explication de ce qui aurait dû se passer sur le Béchar. « Lorsque le défunt Bidi a été surpris par le mauvais temps, l'encre ne pouvait pas être levée. Le guindot qui lui permet d'être hissée était en panne. Il avait une fuite d'huile qui persistait depuis des mois. De plus, les machines du moteur du bateau ne répondaient pas. Les deux générateurs ne leur donnaient pas suffisamment d'énergie pour permettre au navire de prendre l'élan et partir. Les vents ont pris le Béchar de face. Ce qui représente une des situations les plus difficiles à maîtriser. Bidi a alors demandé à l'entreprise portuaire Epal de lui envoyer des remorqueurs pour l'aider à rejoindre le large, avant même que les vagues de deviennent trop importantes. Le Batna aurait pu, lui aussi, connaître la même situation. Sa chance est que les vents l'ont poussé vers la plage au lieu que ce soit vers les rochers. » A partir de cet instant, la compagnie ou l'armateur n'a aucune responsabilité parce que les marins et les deux navires auraient pu être sauvés si les institutions chargées du secours et du sauvetage avaient agi en temps opportun et n'ont pas sous-estimé la gravité de la situation. L'équipage du Béchar victime de promesses non tenues Les premiers à avoir été défaillants sont les responsables de l'Epal, qui ont reçu la première information de la dérive du navire Béchar vers 14h30 de la journée du 13 novembre 2004. Un bateau, le Sea Trader, dont les machines étaient en panne, a demandé à l'Epal à être aidé pour rejoindre le large et informé que le Béchar est en train de chavirer vers lui. Le Sea Trader a été assisté et a pu être dégagé sans que les remorqueurs ne se dirigent vers le Béchar. A ce moment, ce dernier aurait pu être dégagé, lui aussi. Mais le premier responsable de l'Epal et l'officier du port de la même entreprise ont tous les deux affirmé devant le tribunal, qui les a cités à comparaître comme témoins, qu'ils n'agissent qu'à la demande. Ce qui a surpris l'assistance. Vers 16h30, le Benghazi, un autre navire de la Cnan, a lui aussi interpellé la capitainerie pour alerter sur le fait que le Béchar dérivait vers lui. Il a même affirmé n'avoir pas pu prendre contact avec son commandant. A 16h55, le commandant du navire Béchar a demandé un remorqueur. Il savait qu'à ce stade, sa situation n'était pas encore délicate et que les remorqueurs pouvaient le tirer de l'endroit où il était avant d'arriver aux rochers. Les responsables de l'Epal ont fait part d'un concours de circonstance qui a retardé leur intervention. Le chef mécanicien n'étant pas à bord (il avait profité en revenant de sa mission d'assistance au Sea Trader pour rejoindre la station et enfiler son ciré), le commandant du remorqueur a tenté d'embarquer en pleine mer un autre mécanicien d'un autre remorqueur qui n'était pas loin. Au cours de cette opération, le mécanicien a perdu ses jambes. Il fallait donc l'évacuer et l'assister. Mais ces responsables n'ont pas expliqué pourquoi seulement trois remorqueurs étaient fonctionnels, dont un n'avait pas l'équipage suffisant, en cette journée de tempête, où la demande d'assistance est à son apogée. Ne voyant pas les remorqueurs arriver, le défunt Bidi a lancé des SOS à travers le canal 17, celui capté par tous les navires et stations radio. A 17h17, le Centre national des opérations de secours et de sauvetage (Cnoss) est toujours impuissant. A 17h30, le commandant du Béchar a appelé, encore une fois, les gardes-côtes, les informant que le navire a heurté les rochers et qu'il a besoin d'hélicoptère pour sauver l'équipage. A cet instant, il savait que les remorqueurs ne pouvaient rien faire. Le navire était au niveau des rochers, aucun remorqueur ne pouvait s'approcher des lieux sans risque. A ce moment, la responsabilité du Cnoss et des gardes-côtes est engagée. Mais les réponses des responsables de ces services étaient à chaque fois : « Attendez, les secours arrivent. » Le commandant du Béchar réunit son équipage à l'arrière du navire, l'endroit le plus haut, parce que l'avant du navire avait commencé à piquer vers le fond. Il n'a pas mis en action la manœuvre d'abandon du navire tout simplement parce que les responsables de la capitainerie, du Cnoss et des gardes-côtes l'ont assuré de l'arrivée des secours et de l'hélicoptère. Bidi a rappelé vers 17h31 pour, encore une fois, insister sur la gravité de la situation en demandant de faire quelque chose pour récupérer l'équipage. A 17h51, il a rappelé les gardes-côtes et le Cnoss qu'il attendait toujours l'hélicoptère. Mais en vain. Les ministères de la Défense et de l'Intérieur ne possèdent pas un hélicoptère de sauvetage. L'Algérie n'a pas les moyens de se doter d'un seul hélicoptère de sauvetage en mer, elle qui doit assurer la sécurité des navires qui traversent ses 1200 km de côte. La création du Cnoss en 1996 n'était donc que théorique. Sur le terrain, rien n'a été fait pour l'équiper et le rendre fonctionnel. Qui en est responsable ? La réponse est claire. C'est l'Etat, représenté par ses institutions, en l'occurrence les ministères de la Défense, de l'Intérieur, des Transports et aussi le chef du gouvernement qui n'a pris la décision de faire appel aux autorités espagnoles pour l'envoi d'un hélicoptère que vers 23h, une fois que le bateau a sombré. Cet hélico est arrivé le lendemain à 3h (du matin). De 17h jusqu'à 23h, le commandant Bidi n'a fait qu'attendre des secours qui n'arrivaient pas. Il n'a pas lancé sa manœuvre d'abandon du navire parce qu'il a cru que l'hélicoptère de sauvetage allait arriver. Ce sont les promesses des responsables qui l'ont tué, lui et son équipage, et non pas l'état défectueux de son navire. Des responsables qui, malheureusement, n'étaient pas au box des accusés lors du procès. Jusqu'à quand les hauts responsables resteront-ils au-dessus de la justice ?