Quinze années de prison ferme a été le verdict prononcé, tard dans la soirée de mardi, par le tribunal criminel d'Alger, contre l'ancien PDG de la Cnan, Ali Koudil, et quatre de ses proches collaborateurs, Mohand Amokrane Amour, Kamel Ikhadadene, Salah Zaoui et Mustapha Debah, dans le cadre du procès de l'affaire du naufrage du navire Béchar avec à son bord 16 marins, et l'échouage du bateau Batna, le 13 novembre 2004, au port d'Alger. Le tribunal a également condamné Salim Mahgoun et Mohamed Ouramdane Benhamou à deux ans de prison ferme, Allaoua Balache, Mohamed Sidi Dris et Hafid Kerrou à un an de prison avec sursis, et a prononcé la relaxe pour 10 accusés. Tout comme il a décidé l'extinction des poursuites au profit de deux accusés, pour avoir auparavant été condamnés pour les mêmes faits. Pour ce qui est de Mohamed Lakhdar Zaïdi, Sid Ahmed Hachmane et Mourad Guerboua, deux officiers des garde-côtes et le président du Centre national de l'organisation des secours et du sauvetage (Cnoss) absents des audiences, le tribunal criminel a annoncé la mise en exécution de la procédure de contumace. Le prononcé de ce verdict vers 23 h, après 5 heures de délibérés, a eu lieu dans un climat très tendu, jamais vécu dans les annales de la justice. En effet, dès la lecture des réponses aux questions du tribunal par la présidente, les familles des accusés ont commencé à crier : « Pas de justice », « Pays d'injustice », « Hagarine » (oppresseurs) et autres propos virulents à l'égard du tribunal. Le brouhaha indescriptible provoqué par l'assistance a noyé totalement la voix de la présidente au point où celle-ci a fini par interrompre son prononcé en la fixant du regard, sans pour autant réagir. Subitement un cordon de sécurité s'est formé autour de la tribune et des renforts de policiers sont apparu dans la salle d'audience transformée en un lieu de lamentations. La tension est montée d'un cran lorsque, dans cette salle bondée de monde, des voix se sont élevées pour proférer à la présidente : « Vous condamnez des innocents au nom du peuple, c'est un tribunal d'injustice. » Des phrases lourdes de sens adressées au tribunal, dont la présidente est restée imperturbable et a poursuivi tranquillement, après vingt minutes d'attente, la lecture du verdict. Les policiers se sont contentés de regarder les familles exprimer violemment leur colère jusqu'au moment où des marins et membres des familles des défunts morts lors du naufrage sont intervenus, pour déclarer leur satisfaction : « Nous sommes des marins venus demander justice pour nos collègues morts par négligence. Nous sommes avec la justice et rien qu'avec la justice. » A ce moment, les autres contestataires ont riposté avec des propos très virulents, au point où les policiers ont fini par intervenir en faisant quitter la salle à une bonne partie de l'assistance. Entre temps, la présidente a continué à lire le verdict du tribunal, faisant abstraction de toute l'anarchie qui régnait dans la salle d'audience. Dans le hall du palais, la scène a tourné à l'émeute. Certains proches des accusés s'en sont pris violemment aux bancs et cendriers mis à la disposition du public, les laissant inutilisables, en criant très forts : « Pouvoir assassin ». Pendant plus d'une heure, le palais de justice qui vibrait aux cris de la colère, s'est transformé en un champ de bataille. La présidente a décidé alors de suspendre la séance pour dix minutes, « le temps de calmer les esprits » a-t-elle expliqué. Ce qui malheureusement n'a pas fait revenir l'ordre. La présidente a achevé la lecture du verdict. Avant de donner la parole à la partie civile, elle a précisé aux accusés qu'elle ne leur relira pas les décisions du tribunal « parce que ce sont vos familles qui ont perturbé l'audience ». Si les familles des 12 marins relaxés ont exprimé leur satisfaction et leur joie quant au verdict, du côté des cadres dirigeants, la sentence a jeté l'effroi et la consternation tant elle était lourde. Ce procès s'est achevé, certes, en levant le voile sur ce qui s'est passé en cette journée du 13 novembre 2004 et comment les 16 marins ont sombré au fond du port d'Alger, le ventre vide, à la veille de la fête de l'Aïd, sous les regards impuissants des Algérois. L'amère vérité a été dite lors des six jours de débats par les différents intervenants qui étaient unanimes à affirmer que les marins auraient pu être sauvés des 16 h 30, avec les remorqueurs de l'Epal, dont un est capable d'intervenir en haute mer. Le commandant du navire Béchar, dont les compétences et l'expérience ont été longuement vantées par ses collègues, n'aurait jamais attendu plus de sept heures les secours si les responsables chargés du sauvetage, en l'occurrence le Cnoss, les garde-côtes et l'entreprise portuaire, ne lui avaient pas demandé d'attendre. Il aurait tout bonnement, engagé la procédure de l'abandon du navire pour sauver l'équipage. Malheureusement, le défunt commandant a cru en les promesses de ceux qui ne les ont jamais été tenues. Pourtant, ces responsables n'étaient pas au box des accusés et leur absence a laissé l'opinion publique croire que, dans cette affaire, il y a des responsabilités qu'on a voulu épargner pour ne pas aller au-delà de la compagnie maritime. Y aura-t-il un jour une justice pour les défunts ?