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Raïf Mokretar-Kharroubi, Economiste : «Une instruction ne résoudra pas les problèmes de fond»
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Publié dans El Watan le 30 - 09 - 2013

Mokretar-Kharroubi est expert des questions bancaires. Il a notamment pris part à l'élaboration du rapport 2020 de l'initiative Nabni dont il est membre.
-Le premier ministre a instruit les banques publiques à assouplir les niveaux de garantie exigés pour l'octroi de crédit. Dans quelle mesure pourront-elles appliquer cette mesure ?
Tout d'abord, il convient de saluer la volonté que traduit ce type d'initiative. Mais faire en sorte que notre système bancaire puisse remplir sa fonction essentielle de transformer l'épargne en investissement requiert une réforme résolue et profonde du système bancaire et financier. Une instruction formulée par le premier ministre concernant les garanties ne résoudra pas les problèmes de fond. L'Etat ne peut pas se substituer aux décisions du management des banques, car il ne s'agit pas ici de réguler le fonctionnement de services administratifs, mais du fonctionnement d'un système financier, et notamment du fonctionnement interne des banques.
Rappelons-nous des mesures prises par le Premier ministre il y a près d'un an concernant la facilitation de l'ouverture de compte et «l'allègement» du processus d'étude de crédit. Ces mesures n'ont pu être effectives que sur un aspect administratif de la relation entre les clients et la banque : le nombre de pièces à présenter pour l'ouverture d'un compte bancaire. C'est positif, mais c'est marginal en regard de la nécessaire transformation de notre système bancaire qui n'a que trop tardé.
Au lieu d'instructions concernant des questions de gestion interne et de gestion de risque, l'Etat, actionnaire principal de banques qui représentent près de 90% des actifs bancaires, peut agir sur la qualité de la gouvernance de ses banques. Cela concerne notamment la composition et le rôle des administrateurs des banques, leur responsabilisation et la clarification des rôles et prérogatives de chacun (Etat, administrateurs, etc.). Il s'agit aussi d'accorder plus d'autonomie au management des banques publiques, dépénaliser l'acte de gestion, responsabiliser les conseils d'administration des banques (qui nomment et supervisent le management) pour les fonctions de gestion.
Outre la gouvernance des banques, l'effort de l'Etat devrait se concentrer sur la mise en place des conditions pour que la gestion de risque se développe, et notamment la disponibilité de l'information financière. Cela commence simplement par la publication effective sur une base de données électronique disponible sur internet des Etats financiers déposés par les entreprises au CNRC.
Par ailleurs, instruire les banques de réduire les garanties exigées ne résoudra rien. Si les banques exigent des garanties si élevées, c'est qu'elles n'ont pas les bonnes méthodes, les bonnes incitations, ni les informations nécessaires pour mieux évaluer les risques des demandeurs de crédit. Par ailleurs, la réalisation des garanties (la revente de la garantie en cas de défaut de paiement du client) est un acte très rare car très long et onéreux — aller en justice pour vendre une hypothèque peut prendre plus de cinq ans, donc les banques demanderont le maximum de terrains ou d'actifs immobiliers pour dissuader l'emprunteur de faire défaut sur ses remboursements, mais elles savent pertinemment qu'en cas de problème il leur sera très difficile de revendre ces hypothèques.
Notre système bancaire a besoin de bien plus que des instructions à portée limitée.
-Le marché bancaire est fermé au privé national compte tenu de l'échec des expériences de la banque Khalifa, de la BCIA, etc. Pensez-vous qu'il y a quelque chose qui empêche la création de banques privées autres que ces scandales ?
Depuis le temps où aucune banque privée ni algérienne ni étrangère n'a été agréée en Algérie, nous pourrions être tentés de dire que le marché bancaire est fermé tout court. Cette situation est difficilement explicable, car elle a pour effet immédiat de réduire la concurrence dans une économie sous-bancarisée, créant ainsi une situation oligopolistique au détriment du client.
En dehors de la dichotomie banques publiques/banques privées, il est difficile aujourd'hui de trouver une banque qui se différencie des autres par un élément réellement spécifique (qualité de service, nouvel instrument financier, etc.). L'attitude la plus indiquée serait d'abord de cibler les besoins de l'Algérie en termes de développement bancaire et financier, puis mettre en place des critères clairs et transparents pour l'octroi d'agréments bancaires et s'y tenir. Il est de toute manière toujours possible de procéder à un retrait d'agrément si la banque installée ne respecte pas ses engagements ou la réglementation.
D'autre part, la participation privée de l'épargne algérienne dans le capital des banques est essentielle. On ne peut pas rester éternellement dans le dispositif actuel où le capital des banques est ou étranger ou étatique. L'ouverture du capital des banques, étatiques ou privées, par la bourse en particulier, est fortement souhaitable pour en diversifier l'actionnariat.
-On accuse les banques étrangères de droit algérien de trop profiter du marché algérien en y réalisant des rendements qui n'existent nulle part ailleurs, alors qu'elles participent peu à l'investissement. Cette critique est-elle fondée, selon vous?
Il n'est pas anormal pour un investisseur rationnel de réaliser de superprofits lorsque la situation le lui permet légalement. Ce serait même inquiétant qu'il ne le fasse pas. En fait, des rendements sur actifs de l'ordre de 45% sont possibles en Algérie car la distorsion du marché bancaire fait qu'il existe des niches de confort qui font que la banque peut se permettre de financer des projets à haut rendement avec un risque quasiment nul. Les hauts rendements et les gros profits que certaines banques peuvent faire (et il ne s'agit pas que des banques étrangères, les banques ou entreprises publiques, pas suffisamment concurrencées, ont aussi des activités de confort et rentables), ne reflètent que le manque de concurrence de la place bancaire et de toutes les distorsions que des réformes trop longtemps retardées pourraient éliminer.
Les solutions résident dans l'amélioration de la gouvernance des banques publiques, la nécessité de l'ouverture du système bancaire à de nouveaux acteurs pour augmenter la concurrence, l'élimination des situations de rente qui permettent ces rendements élevés au détriment des clients et de la qualité de services bancaires peu concurrentiels. Le plan de réformes nécessaire au système financier est chargé et doit être global. Ne nous donnons pas l'illusion que des mesures limitées changeront la donne, ni qu'accuser certaines banques en particulier résoudra les problèmes de fond.


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