-Dans quel contexte historique le mouvement abolitionniste algérien a-t-il vu le jour ? Ce mouvement a commencé très tôt dans notre pays. C'est-à-dire près d'une année et demie après l'indépendance. L'Algérie venait de sortir d'une guerre terrible où beaucoup de nos héros avaient été exécutés à la guillotine. En mai 1964, Ali Haroun a proposé l'abolition de la peine de mort. Ce qui était merveilleux à l'époque. Malheureusement, Ben Bella s'y est opposé pour des motifs politiques évidents car il voulait garder sous la menace les leaders nationaux qui étaient contre lui. Effectivement, en septembre 1964, il fit exécuter le colonel Chaabani… Mais avant cela, il y avait aussi une proposition de Mme Zohra Drif-Bitat en faveur de l'abolition de la peine de mort, lors des débats à l'Assemblée nationale constituante de septembre 1962…En tout cas, c'est vrai que Mme Bitat est une abolitionniste. Sa voix portait beaucoup. Mais à l'époque, ce qui était le plus important, c'était le facteur politique. -Au-delà des raisons politiques dissimulées, qu'a-t-on opposé à l'abolition comme arguments ? Une chose est sûre : durant toute la période post-indépendance, on n'a jamais opposé l'argument religieux aux abolitionnistes. Il y avait certes toutes sortes d'arguments politiciens, mais jamais d'arguments religieux. Cela viendra beaucoup plus tard… Durant la décennie noire, les assassinats, les massacres et les crimes absolument horribles et barbares ont rendu le combat abolitionniste presque impossible. -Comment le moratoire de 1993 était-il donc possible ? C'est un moratoire international sur l'application de la peine de mort. L'Algérie l'a signé en 1993, à l'initiative du pouvoir en place. Depuis, il est appliqué de fait. La dernière exécution concerne celle des auteurs du massacre commis à l'aéroport d'Alger (attentat du 26 août 1992). Le procès s'est achevé le 26 mai 1993 avec la prononciation de 12 condamnations à mort (7 condamnés ont été exécutés le 31 août 1993, ndlr). -Dans ce cas, quel intérêt à réclamer l'abolition de la peine de mort du moment que les condamnations ne sont pas exécutées ? Certes, les exécutions ont cessé. Par contre, nous n'avons aucune assurance que demain on ne rétablisse pas la peine de mort pour un crime passionnel, par exemple. Ça n'a pas de sens ! Nous avons donc continué à réclamer l'abolition. En 2003, le président Bouteflika lui-même a déclaré, à Bruxelles, qu'il était favorable à l'abolition. Il a ajouté que ce qui l'empêchait de faire une loi abolitionniste, c'était le contexte de troubles qui n'avait pas encore tout à fait cessé. En 2004, le ministre de la Justice de l'époque a annoncé officiellement que le gouvernement allait déposer un projet de loi pour l'abolition. On l'attend toujours cette loi promise ! Actuellement, le militantisme abolitionniste en Algérie certes n'a pas cessé, mais a baissé le ton. Je crains que notre pays ne soit pas encore prêt pour l'abolition. Le ministère des Affaires religieuses campe sur sa position dans laquelle il affirme qu'il ne faut pas annuler la peine de mort là où la religion la prévoit. Même le syndicat de la magistrature s'est déclaré favorable à la reprise des exécutions, synonyme de la fin du moratoire. L'Etat peut le décider à tout moment, surtout qu'après l'abominable assassinat de deux enfants à Constantine, Haroun et Brahim, l'opinion publique était très favorable au rétablissement de la peine de mort. -Justement, quelle est votre appréciation du traitement médiatique de cette affaire ? Le traitement médiatique de cette affaire a été très négatif pour nous, abolitionnistes. Tout en se déchaînant – à raison contre les criminels – la presse a relancé le débat en faveur non pas de l'abolition, mais de la reprise des exécutions. On a présenté cela comme un moyen de lutte contre ces crimes odieux, alors que nous savons tous que la peine de mort n'a jamais été dissuasive dans n'importe quel pays. D'ailleurs, les abolitionnistes et les non-abolitionnistes sont d'accord là-dessus. La peine de mort n'a aucune valeur d'exemplarité. Au moment de passer à l'acte, un criminel ne s'arrête pas dans son geste en pensant à la loi.