Le spectacle des dizaines de corps flottant à quelques mètres des plages siciliennes a fait prendre conscience aux décideurs italiens de l'inefficacité de leurs dispositifs sécuritaires et de leurs politiques populistes. De notre Correspondante à Rome Les Italiens ont vu défiler à leur télévision, ces derniers jours, le désespoir s'échouant sur les plages de leur beau pays. Autre scène insoutenable : le navire Cassiopea s'apprêtant à quitter le port de Lampedusa, dimanche dernier, avec 150 dépouilles à son bord et les parents des victimes tentant d'empêcher son départ... Les immigrés africains plus chanceux se sont déplacés des autres pays européens pour donner un nom aux dépouilles et faire leurs adieux à un proche ayant péri dans le naufrage du 3 octobre. Plus de 200 autres sont toujours portés disparus. Cette embarcation, énorme chambre mortuaire, s'est dirigée vers Porto Empédocle, pour transporter les cercueils au cimetière de Agrigente. Les autorités italiennes ont promis aux parents éplorés de faciliter le rapatriement des corps vers l'Erythrée, dans un proche avenir. En ces temps de crise économique, les Italiens pensent à leur propre survie, mais un évènement inattendu est venu frapper leur conscience de «nantis». L'approche de l'hiver a poussé les trafiquants d'êtres humains à multiplier les «dessertes» entre les deux rives de la Méditerranée, chargeant davantage les embarcations de fortune qui quittent les ports africains, surtout libyens, à destination de l'Europe. Ainsi, un nombre grandissant de désespérés échoue presque quotidiennement sur les côtes italiennes. Déferlement Mais les passeurs ne garantissent pas la survie à leurs victimes. A quelques kilomètres, plus au nord, les images poignantes de dizaines de cadavres qui flottent en mer, repêchés tels des poissons ou des écueils, par les navires de la marine, les chalutiers et même quelques barques de plaisance. Le dramatique naufrage de Lampedusa, dernier d'une série noire qui a commencé au début de l'automne, a soulevé une vive polémique dans l'opinion publique italienne et la classe politique. Après avoir protesté auprès de l'Union européenne pour avoir laissé l'Italie «seule face au déferlement de réfugiés sur les côtes de la Sicile», l'Italie a décidé d'agir. Le gouvernement de Enrico Letta a approuvé en un temps record une mission militaire baptisée «Mare Nostrum», qui se veut également «humanitaire», pour bloquer les flux incessants de réfugiés. Cette mission se chargera du contrôle des frontières, de l'accueil et du secours en haute mer des immigrés, mais aussi de la capture des passeurs et de la mise sous séquestre des bateaux. Le ministre de l'Intérieur, Angelino Alfano, a tenu à préciser que les réfugiés secourus par les Italiens ne seront pas forcément transportés en Italie, «C'est le droit international qui établira vers quel pays les rescapés seront refoulés.» Drones Pour porter à terme cette mission, l'armée italienne a mobilisé plusieurs drones, des hélicoptères équipés d'instruments d'observation très modernes et quatre navires de la marine italienne, dont deux frégates. «Décourager les bateaux des passeurs qui déversent des désespérés sur nos côtes et secourir les personnes en difficultés» sera le but de ces sorties en mer, martèlent les ministres italiens. Cette opération militaire coïncidera avec l'entrée en vigueur, le 2 décembre prochain, de l'Eurosur (Système européen de surveillance des frontières). Et si les hommes politiques italiens se préoccupent de sécuriser les frontières de leur pays, les activistes pour le respect des droits de l'homme insistent sur la nécessité de dépénaliser l'immigration illégale. Le fondateur du quotidien de gauche, La Repubblica, Eugenio Scalfari, s'est insurgé dans un long éditorial pour «les désespérés qui frappent aux portes de l'Europe» contre «le délit de clandestinité» qu'il juge «inacceptable et doit être annulé». Car le sort des survivants aux naufrages n'est guère plus enviable. Enfermés dans les centres de détention, les sans-papiers végètent pendant des mois dans des conditions de vie qui seraient, selon les organisations humanitaires, «pires que celles des plus surpeuplées prisons italiennes».