Ces récits constituent un retour aux sources, la vie d'une cité dans les années 1930, 1940, 1950 et antérieurement, jusqu'en 1850. Des familles unies par les mêmes valeurs, les mêmes traditions, les mêmes coutumes, les mêmes rituels. On entre de plain-pied dans l'intimité de ces familles, et les événements qui s'y déroulent sont décrits avec minutie. L'ensemble est une compilation de souvenirs d'enfance, frais, attachants, parfois dramatiques, parfois amusants ou tendres, mais qui n'ont pris aucune ride. La première nouvelle, Dar El Hakem, plante le décor, là seront logés les invités de marque, à leur tête le cheikh Ahmed Ibnou Zekri, proviseur du lycée d'enseignement franco-musulman d'Alger, depuis les années 1920,où le père de l'auteure y a été scolarisé à cette époque. Cette demeure servira de réceptacle au concert andalou donné en son honneur par le vénéré Dahmane Benachour et son orchestre, sous la houlette du maestro El Hadj Medjbeur. Un fil conducteur mènera le lecteur de Dar El Hakem à Dar El Hakem : le concert, la quatre-vingt-huitième et dernière nouvelle. Ce fil d'Ariane se déroulera tout le long du récit, suivront les préparatifs du repas de gala, de l'arrivée des convives, de la préparation de la maison d'hôtes devant les accueillir… Et, alternativement, des chroniques cherchelloises sont évoquées, faisant appel à la mémoire de l'auteure, fillette de 7 ans au moment des faits, et à son environnement familial. Un art de vivre citadin précieusement consigné et qui se déroule à l'intérieur des patios. L'élément mâle y est inexistant, de même que l'oisiveté en est bannie ! Cette vie est riche, intense. Des travaux manuels et des préparatifs propres à chaque saison et chaque événement sont cités : le temps des conserves, des confitures, la couture, la broderie, le tricot et le crochet, le chaulage des murs et la préparation du Ramadhan, les gâteaux de l'Aïd, le nouvel an berbère et le Mouloud fêtés avec faste à Cherchell, les fêtes religieuses, les mariages, les circoncisions, les funérailles et les fiançailles occupaient les maîtresses de maison des semaines durant ! On y apprend que l'éducation des enfants y était stricte : discipline, obéissance et respect dus aux aînés en sont les fondamentaux. Quant aux personnages, en plus de tous les membres de la famille, un panel de personnages s'est imposé de lui-même : tous ceux qui se sont singularisés par un quelconque trait, une fonction, une particularité : la touche coloniale avec «Les Ménéstrels de Cherchell», la référence au maire de l'époque, Henri Baretaud, le pittoresque avec le crieur public, «el berrah», le cocasse avec Têttêni «El msedna», l'original avec le peintre Si Abderrahmane Keymoun, l'historique avec Malek Ben Sahraoui El Berkani qui souleva une armée contre l'occupant français et mourut les armes à la main le 2 août 1870 aux portes de Cherchell, le singulier avec Berdjem, «le cueilleur d'oursins», le patrimoine immatériel avec Zounêni, l'artisanat avec Chérifa la dentellière et le poète, le parolier Abdelhakim Garami, auteur de l'illustre complainte Chahlète laâyani, enfin la meddaha Qaïda. Les visiteuses… seules habilitées à entrer dans la maison du maître d'arabe, quelques «roumiate», dont mademoiselle Monique Betton, la sage-femme, Mme Hazan, «Aïcha mart errebbi» et sa fille Esther la bijoutière, l'institutrice, Mme Queyrat et le médecin de famille, le docteur Briault… Saupoudrant ce texte, le patrimoine immatériel de Cherchell a été recensé par l'auteur. Un long et patient travail de prospections, de recherches, d'enregistrements et de traductions qui a nécessité des mois de travail comme pour les bouqalate, les chants du marié et de la mariée, les berceuses pour filles et garçons, les comptines, les maximes et les dictons, les chants lithurgiques des meddahate, les chansons de l'escarpolette et ceux des marabouts, celles du henné de la mariée selon le rite de Sidi Maâmar… Enfin, les sorties rustiques, pastorales, qui ont lieu au printemps à Sidi Yahia ; thermales, elles se passent à Sidi Belkacem ; les séjours à El Biar au sein de l'immense demeure de Babali, le grand-père maternel, font la joie de l'auteure tous les étés. Il existait à Cherchell une culture, un art de vivre, une passion pour le savoir et la science, un amour profond pour la musique arabo-andalouse ! C'était une réalité sociale, avec ses règles, ses lois, ses tabous et ses interdits communs à toutes les familles de la cité. Nora Sari nous confiera : «Ces chroniques narrent un vécu : celui de notre enfance et celui de nos parents. Ce monde, celui des générations qui nous ont précédés n'est plus, englouti, comme l'Atlantide, c'est un monde perdu ! Seuls la nostalgie et un devoir de mémoire vis-à-vis des générations futures m'ont poussée à le faire revivre pour le leur restituer.»