Le porte-parole du Dialogue national en Tunisie a annoncé, dans la nuit de lundi à mardi, la suspension des pourparlers pour la désignation d'un nouveau chef de gouvernement. Principal point d'achoppement : la proposition par Ennahdha de la candidature d'Ahmed Mestiri. Tunisie De notre correspondant Le porte-parole du Dialogue national, Hassine Abbassi, a annoncé avant-hier, vers minuit, la suspension des pourparlers pour le choix d'un nouveau chef de gouvernement. Le secrétaire général de l'UGTT a certes exprimé sa colère contre les partis politiques. Il a néanmoins promis de rebondir. «Le Dialogue national n'a pas le droit d'échouer. C'est l'unique voie de salut», a-t-il insisté. Toutefois, avec le prolongement indéfini des tractations a-t-on vraiment tort de douter ? Lors de l'annonce de la suspension du Dialogue national, il était clair que le quartette des organisations nationales en avait ras-le-bol des partis politiques et de leurs tergiversations. «La classe politique n'est pas consciente de la gravité de la situation vécue par la Tunisie, notamment sur le plan sécuritaire», reproche Hassine Abbassi. «A chaque fois que les pourparlers arrivent à une question épineuse, nécessitant un véritable consensus, c'est le sens partisan qui l'emporte sur l'intérêt national», regrette-t-il. «Nous sommes donc obligés de suspendre le pendule de la feuille de route pour nous remettre au travail d'approche afin de rapprocher davantage les points de vue pour que le terrain soit plus propice au consensus», conclut, exaspéré, le secrétaire général de l'UGTT devant une forêt de micros. Cette issue était attendue dans la mesure où depuis jeudi dernier et la remise sur selle par Ennahdha de la candidature de Ahmed Mestiri, le bras de fer s'annonçait. Ennahdha a refusé d'inclure le dynamisme comme critère de choix du futur chef du gouvernement. «Il ne va pas faire une course d'endurance», réplique Rached Ghannouchi en guise de réponse. «Rappelez-vous de Béji Caïd Essebsi, qui est parvenu à assurer la transition en 2011 alors qu'il avait pratiquement le même âge que Mestiri. Cet argument n'est donc pas valable», poursuit le leader des islamistes d'Ennahdha. Ghannouchi est toutefois d'accord sur la poursuite des pourparlers et est convaincu qu'il n'y aura d'issue qu'à travers le dialogue. Mestiri ou personne Ennahdha justifie son choix par le fait que Mestiri est le père de la démocratie en Tunisie. «Il a été dans les années 1970 l'initiateur du pluralisme en Tunisie et l'un des fondateurs de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH). Il est resté opposé à Bourguiba et n'a pas composé avec Ben Ali. C'est donc un démocrate authentique, qu'on peut récompenser avec une telle nomination», explique Ghannouchi aux médias. «Il n'y a donc aucune raison valable pour qu'on change de candidat», ajoute-t-il. Pour l'opposition, amoindrie par le départ du Parti républicain, parti défendre la candidature de Mestiri, «il s'agit d'une personnalité certes respectable mais il n'est pas en mesure d'assurer car il s'agit d'un véritable travail d'endurance», s'insurge le président du bloc démocratique à l'ANC, Mohamed El Hamedi. «On ne saurait comparer cette période à celle de 2011, quand le pays était en pleine euphorie révolutionnaire. Le gouvernement de Béji Caïd Essebsi avait un préjugé favorable de la part de la population», indique pour sa part le porte-parole de Nidaa Tounès, Lazhar Akermi. «Le prochain gouvernement est appelé à combattre le terrorisme et veiller à des élections chaudes et conflictuelles, non festives comme celles du 23 octobre 2011, d'où plus de vigilance de la part du chef du gouvernement», ajoute-t-il. Comme l'a si bien dit Hassine Abbassi, «la Tunisie n'a pas droit à l'erreur». Mais «ceci ne veut nullement dire que l'on va continuer à débattre jusqu'à l'infini», avertit le porte-parole du Front populaire, Hamma Hammami. Et maintenant ? «L'opposition a, certes, l'option de la rue pour faire davantage de pression, mais jusque-là elle n'est pas parvenue à faire mal aux islamistes d'Ennahdha, rôdés désormais dans l'absorption des chocs», remarque le politologue Hamadi Redissi. «Cette option du Dialogue national est une garantie que l'on va parvenir, tôt ou tard, à réaliser des élections en Tunisie. L'attitude souple des négociateurs mène à un résultat acquis», explique-t-il. «De la pression de la rue et de l'aptitude à négocier dépend le résultat», conclut-il. Les problèmes ne se limitent d'ailleurs pas au choix du chef du gouvernement. Même dans la commission du parcours constitutionnel il y a eu des problèmes en rapport avec le contenu de la Constitution. Si Ennahdha a lâché sur la civilité de l'Etat, il s'est opposé à la neutralité des mosquées. «La mosquée est un espace où l'on peut parler de politique et des élections», pense la constituante nahdhaouie Farida Laâbidi. Or, la plateforme du Dialogue national stipule clairement d'écarter les mosquées et les établissements scolaires des tiraillements politiques, donc il y aura encore des batailles autour de cette question. Par ailleurs, les amendements au règlement interne de l'ANC ont été perçus par l'opposition, voire même par le parti Ettakatol de Mustapha Ben Jaâfar, comme une sanction contre les députés retirés et le président de l'Assemblée, suite au gel des travaux. La constituante d'Ettakatol Lobna Jeribi n'a pas caché ses craintes : il y a encore du pain sur la planche. Mais le spectre du chaos est loin. Seule la crise inquiète et pousse à des résultats pressants.