Doucement mais sûrement, Rachid Taha a réussi à enflammer le public du TRO. Il aurait été malheureux que dans sa ville natale, même s'il a vécu à Sig (wilaya de Mascara) dans sa petite enfance, une petite ville qu'il a d'ailleurs visitée à l'occasion, il passe inaperçu. Il n'est pas en terrain conquis comme le serait un Khaled, mais il a assez de présence sur scène et une aura construite beaucoup plus par les choix musicaux qu'il a privilégiés qu'une voix presque enrouée pour convaincre. De la conviction, il y en avait et c'est à coups de : « Allez on se lève » ou « Où est la chaleur d'Oran dont on parle tellement ? » qu'il a su faire adhérer un public intéressé, mais qui avait, du moins au début, tendance à se complaire dans un certain confort. Il était annoncé au Théâtre de verdure mais cet espace n'a finalement pas été accordé. Les organisateurs, le CCF qui l'a invité dans le cadre du Festival européen, se sont rabattus sur le théâtre Abdelkader Alloula, mais avec un tarif de 800 DA, sans doute pour éviter le rush. La salle de l'opéra n'est de toute évidence pas faite pour un chanteur de sa trempe et les deux premières chansons qu'il a interprétées ne manquent, en plus, pas de force : des accords de guitare poussés à la limite de la distorsion, une batterie d'enfer et un joueur de mandole particulièrement virtuose sur cet instrument de prédilection des chanteurs de chaabi (littéralement populaire). Malgré son chapeau et ses lunettes noires, le confort n'est pas le propre de Taha qui aime jouer avec les convenances. « C'est un, deux, trois soleil que vous connaissez, c'est ça ? », devait-il lancer au public en entamant Abdelkader ya Boualem, un titre tellement galvaudé qu'il est devenu un passage incontournable. « Le texte original date de 1871 et je trouve qu'il est intégriste et c'est pour cela que nous avons décidé de le changer », déclare-t-il face à des réticences dans la salle exprimées en le huant quelque peu. « On a le droit de dire ce qu'on pense non ! » Il a été difficile d'écouter le contenu de l'adaptation faite par l'artiste, mais l'ambiance dans la salle était à son comble. Pour lui, c'était sans doute un prétexte pour gagner les plus récalcitrants à sa cause. Pour pousser les choses encore plus loin, il dira : « Bienvenue aux intellectuels, aux bourgeois, aux homosexuels, aux lesbiennes. » Plus tard, il demandera la permission de déclamer des quatrains des roubaiates de Omar Khayyam et forcera le public à répéter après lui, non sans quelques hésitations, « iskini khamran ». « Cela veut dire donne-moi et ce n'est pas forcément une incitation à l'alcoolisme. Tenez, on peut dire, ironise-t-il, iskini ouahran ». Il se réjouit du fait que son public chante avec lui, danse, tape ou balance des mains et l'intimité va jusqu'à asperger d'eau, comme il le fera pour lui-même, ceux qui se sont amassés sur le devant de la scène. Un geste inhabituel mais paradoxal pour quelqu'un qui voulait plutôt chauffer davantage une salle qu'il accuse de somnoler. Composée par Khelifi Ahmed, Bent es sahra (de son album intitulé Diwan) a été annoncée avec triomphe. « C'est pour montrer au monde qu'en Algérie il n'y a pas que le pétrole », se vante-t-il et le choix de « la fille du Sahara », un standard du genre, accentue la symbolique. Après la pause, Rachid Taha revient encore avec plus d'énergie, surtout avec Rock the Casbah, un autre titre de son tout dernier album Tekitoi, un retour vers une espèce de rock de ses débuts avec Carte de Séjour. Cette lancée sera relativement freinée par Médina, Rani hayer flemdina (Made in Médina), un titre qui laisse exploser le talent du « mondoloniste » du groupe. Son pari était gagné et le public maintenant debout ne le lâchera plus. Il a voulu terminer son show avec Voilà loilà (que ça recommence), un titre plutôt techno de son album intitulé Rachid Taha et qui contient déjà Ya rayeh, le tube qui l'a imposé au milieu des années 1990, mais il reviendra sur insistance de la salle. Il quittera la scène finalement sur Nehsab liyam, comme s'il ne restait plus beaucoup de temps. Le bref passage sera finalement mémorable.