Yasmina Khadra veut être président de la République. Il a un programme et veut se lancer dans la campagne électorale pour la présidentielle d'avril 2014. L'auteur de A quoi rêvent les loups ? a choisi le 18e Salon international du livre d'Alger (SILA), qui se tient jusqu'à demain au Palais des expositions des Pins maritimes, pour faire cette annonce. L'ancien militaire a déclaré au Forum du journal Liberté : J'ai été élevé par l'Ecole des cadets et formaté par l'amour indéfectible de l'Algérie. J'ai été également le concepteur du plan de la lutte antiterroriste dans l'Oranie. Aucun homme ne peut m'imposer quoi que ce soit. J'ai écrit Morituri sous les drapeaux. Loin des salons, moi, j'en ai vu des gens mourir… Ecrivains, universitaires et journalistes s'expriment sur cette candidature, sans doute la première dans l'histoire contemporaine de l'Algérie.
-Abderrazak Boukeba. écrivain et journaliste Le débat aurait été autre si nous avions une scène politique saine, basée sur des règles justes. Une scène où l'on croit à la démocratie en tant que discours et action. L'engagement politique d'un romancier dans ce genre de situation aurait été ordinaire. L'écrivain n'aurait aucune crainte d'être sali. Mais dans une scène politique boueuse, il est difficile de s'y engager sans être souillé. Un écrivain doit veiller à sa propreté et à son honnêteté. Pour ma part, je m'approche de ce domaine politique que par curiosité. Je ne m'engage jamais dans un parti, ça ne m'intéresse pas. Tous mes amis intellectuels qui l'ont fait ont échoué dans le sens large du terme. Ils ont perdu leur qualité d'écrivain, perdu la politique en même temps. -Youcef Benadouda. journaliste et animateur radio Des hommes qui viennent à la politique par hasard, qui critiquent le pouvoir et qui, du jour au lendemain, écrivent des livres où ils soutiennent le contraire de ce qu'ils pensent, je n'y crois pas. J'aime Yasmina Khadra en tant que personne, pas sa littérature. Il écrit bien, mais ce n'est pas mon esprit. J'ai dû mal à comprendre qu'il écrive des textes qui vont à l'opposé des thèses du système, alors qu'il est directeur du Centre culturel algérien à Paris ?! Pour moi, c'est antinomique… Il y a des gens qui écrivent pour se placer, d'autres par opportunisme naturel, d'autres encore s'autocensurent. On appelle cela la médiocrité ambiante. -Youcef Saiah. critique littéraire Yasmina Khadra est avant tout un citoyen algérien. Et tout citoyen algérien a le droit de se présenter à la présidentielle. Maintenant est-ce que l'homme de littérature, l'homme de création doit se mêler de politique, je pense que c'est une question qui le regarde. Il existe des peintres, des cinéastes, des auteurs engagés. Comme il existe des écrivains ou artistes qui ne sont jamais engagés. On peut s'interroger sur ce que Yasmina Khadra en tant que citoyen peut-il ramener, en dehors du fait qu'il soit écrivain ou pas. Il ne faut pas mélanger le métier avec l'engagement politique. -Abdelkader Djemaï. romancier Un écrivain est fait pour écrire des livres, il n'est pas fait pour écrire des discours ou faire voter des lois. Il y a l'exemple de Vargas Llosa au Pérou. Il a été battu aux élections. Il est préférable d'écrire des livres. C'est moins encombrant. Un livre, c'est un peuple. Un livre, c'est un pays. Un écrivain est condamné à la solitude.» -Amine Zaoui. écrivain Se présenter à l'élection présidentielle est un acte individuel, une liberté individuelle. Arrivé à une certaine notoriété, l'écrivain est responsable de ses actes et ses positions. L'écrivain fait de la politique à travers le texte, la littérature. Mais il est aussi libre de faire de la politique directement. Chez nous, la rupture entre le politique et le littéraire se poursuit. Pourquoi ? Nous avons un faux champ politique. -Allaoua Hadji. journaliste et écrivain Il est connu que l'intellectuel algérien n'est pas actif. Il ne réagit que rarement aux événements politiques en Algérie et à l'étranger. Il s'est passé beaucoup de choses en Algérie sans qu'on écoute une voix s'élever parmi ces intellectuels comme s'ils n'étaient pas du tout concernés. J'ai même écrit un jour : «Win rakoum.» Ils sont lâches à mes yeux. Je le dis et je l'assume. Une partie de ces intellectuels est liée au pouvoir. Cette absence de l'intellectuel du terrain lui enlève sa crédibilité. Donc, qu'un écrivain se présente aux élections ou pas, ça ne change rien. La candidature de Yasmina Khadra est un coup médiatique. Il ne pourra jamais collecter le nombre de signatures exigées par la loi ! -Sarah Haidar. journaliste et romancière Il est toujours bon pour le paysage politique d'un pays qu'un écrivain se présente à l'élection présidentielle, dans d'autres pays, des artistes et des hommes de lettres se sont présentés aux élections présidentielles, cela avait dynamisé quelque peu la campagne électorale. Cela dit, je pense que quand un homme de lettres s'engage politiquement dans ses écrits, il lui sera difficile d'éviter le discours direct et la démagogie. Du coup, la valeur littéraire de son œuvre diminue à mesure que le ton politique prend le dessus… Je suis contre la politisation de la littérature. -Habib Tengour. romancier L'homme de lettres est dans la cité. Donc, son écriture elle-même est politique. Je ne soutiens pas l'art pour l'art. Pour moi, l'artiste est dans sa société. Il peut intervenir. Ce que je lui demande, c'est de ne pas être opportuniste. Il doit parler en fonction des idées qui sont les siennes. Il doit défendre ses idées littéraires. S'il intervient sur le plan politique, il doit le faire en tant qu'homme politique. Je lis l'écrivain, les positions politiques, c'est autre chose. -Mohamed Magani. romancier Un écrivain peut se présenter à l'élection présidentielle. Il y a les précédents de Vaclav Havel et Vargas Llosa. Il faut lire la réponse de Smaïl Kadaré sur la question d'un homme de lettres en politique. J'ai écrit une nouvelle sur cette réponse. Avoir un écrivain président, ça serait un miracle en Algérie. -Afef Fenouh. poète et journaliste A mon avis, chaque intellectuel a le droit de se présenter à un poste politique. La politique, à l'origine, est culture. Je me demande ce qu'a fait Yasmina Khadra pour la culture algérienne pour qu'il puisse présider l'Algérie ? Qu'a-t-il fait pour les intellectuels ? Je pense que pour être Président, un intellectuel doit être sage, puissant et avoir la maturité politique. -Mustapha Madi. sociologue Yasmina Khadra est un romancier connu mondialement. Il a un public. Vaut mieux qu'il reste dans son domaine. Nous n'avons pas besoin de Yasmina Khadra comme président de la République, mais en tant que romancier et créateur. Moi je suis contre qu'un homme de lettres soit directeur d'une institution, ça fausse les jeux… -Anouar Benmalek. écrivain Chacun doit agir selon sa conscience. Si quelqu'un pense qu'il peut apporter quelque chose au débat politique, qui le fasse ! Reste que la littérature et la politique sont totalement différentes. Le projet politique prime sur la volonté narcissique. Le rôle d'un homme de lettre est, à mon avis, de dire ce qui semble être sa vérité sur un vécu particulier. L'homme politique a quelque chose de plus général. On peut être l'un et l'autre. L'essentiel est que l'un ne se fasse pas au détriment de l'autre. Le domaine de l'homme de lettres est de défendre d'une certaine manière les droits de l'homme et de la liberté d'expression. Il doit dire ce qu'il pense être la vérité. Cela dit, un homme de lettres peut avoir des ambitions… On doit ouvrir le débat pour savoir où se dirige l'Algérie.