Quand c'est Céline Dion qui dit, dans une interview à un grand magazine canadien, Maclean's en l'occurrence, que «ce n'est pas parce que ces femmes portent le voile que nous allons changer nos lois (au Québec) et que nous devons enlever le crucifix ou le sapin de Noël. Québec (Canada) De notre correspondant Si je vivais dans leurs pays, je porterais le voile», il n'y a pas de quoi s'étonner que les actes contre les musulmans deviennent de plus en plus visibles au Québec. Ceci bien que n'y ait jamais eu au Québec une telle demande de la part des musulmans. Mais le matraquage médiatique quotidien à propos d'une menace d'islamisation du Québec et l'amalgame entre musulmans, islamistes et terroristes porte malheureusement ses fruits. La chanteuse n'est pas la seule à adopter un discours de peur de l'autre. L'auteure et ancienne animatrice de télévision Janette Bertrand a affirmé, devant plus d'un million de téléspectateurs, qu'elle n'aimerait pas «être soignée par une femme voilée. J'aurais peur. Je me dirais : tout d'un coup, dans sa religion, qu'on ne soigne pas autant les femmes que les hommes, qu'on laisse partir les vieux plus vite». Une autre célébrité soutient à la radio que «les femmes qui portent le voile sont folles». Un ministre du gouvernement minoritaire, nationaliste, en exercice, affirme dans une sorte de dérapage contrôlé, avant de nuancer sa pensée, qu'il s'inquiète de l'islamisation de Montréal et du monde. Une membre de la formation politique au pouvoir, le Parti québécois – indépendantiste, historiquement progressiste mais qui n'a plus rien à envier aux partis d'extrême droite quand il s'agit de discours identitaire de ses membres – affirme à propos de l'immigration maghrébine que «les peuples latins sont d'excellents candidats à l'immigration, et ce, même s'ils ne parlent pas français avant leur arrivée, à l'opposé des ressortissants de pays francophones avec des codes culturels tellement différents qu'on ne pourra jamais les intégrer». Dans un reportage de Radio Canada diffusé en octobre dernier, plusieurs cas de femmes voilées invectivées dans les transports publics ont été rapportés. L'une d'elles, Majda, a été «la cible d'invectives. Un matin, dans le bus, quelqu'un lui a dit qu'elle ne pourrait bientôt plus utiliser ce moyen de transport avec son voile. Elle est arrivée au Québec il y a trois ans et est professeure d'anglais». Le journaliste qui l'a réalisé, d'origine algérienne, connu pour son intégrité et respecté dans le milieu, n'a pas été épargné sur les réseaux sociaux. Un regroupement de centres pour femmes en difficulté a tiré la sonnette d'alarme. «Depuis le début de la promotion gouvernementale du projet de 'charte des valeurs', les centres de femmes du Québec sont témoins d'une augmentation de l'intolérance, de la violence et du racisme, et ce, tout particulièrement à l'endroit des femmes musulmanes qui portent le voile», est-il souligné dans un communiqué. Charte des valeurs Toute cette surenchère survient sur fond de lancement d'un projet de loi, la «charte des valeurs québécoises» qui interdit le port du voile dans la fonction publique, chez les enseignantes de tous les paliers, dans les garderies et les hôpitaux et limiterait la nourriture halal pour les enfants. Un voile qui, selon Djemila Benhabib – qui vit au Québec depuis les années 1990 et est auteure de Ma vie à contre-Coran et Les Soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident – est «taché de sang». Leïla Benhadjoudja, qui prépare une thèse de doctorat sur «Les Québécoises musulmanes qui activent dans l'espace public», affirme qu'il y a autant de raisons de porter le voile que de femmes qui le portent. Ce n'est pas nécessairement religieux. Elle explique aussi que les stéréotypes, loin de la réalité, n'ont pas été renouvelés et remontent toujours à l'orientalisme. Amnesty International a dénoncé ce projet de loi ainsi que la commission des droits de la personne du Québec et le gouvernement fédéral. Le chef de la Coalition Avenir Québec a dénoncé le procès contre la religion musulmane : «Il y a des personnes qui tiennent des propos que je n'aime pas entendre sur la religion musulmane (…). Le gouvernement donne une autorisation implicite à l'expression de l'intolérance.» Un ancien Premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, a lui aussi dénoncé ce projet : «Jamais à ma connaissance, au Québec, on n'a légiféré pour interdire quoi que ce soit de religieux. Ce n'est pas dans nos habitudes. On a fait évoluer les choses graduellement vers une laïcité qui est pratiquement totale aujourd'hui.» Et d'ajouter : «La question qu'il faut se poser aujourd'hui c'est pourquoi aujourd'hui et pourquoi (on vise) les musulmanes ?» En tout cas, les esprits ne semblent pas se calmer. Et ce n'est pas Marine Le Pen du FN français, qui affirme ce qui suit : «Ce voile n'est pas une casquette, c'est un signe politique. C'est le drapeau d'un islam qui se veut conquérant, celui d'un islam qui veut imposer la charia en Occident et dont les femmes voilées se font le fier commanditaire (…) la femme musulmane a pour vocation principale de produire des musulmans.» Les propos sont de Louise Mailloux, auteure de l'essai La Laïcité, ça s'impose, lors d'un débat sur la «charte des valeurs québécoises». Ça fait peur !