Hier, c'était la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes et, encore une fois, le même constat d'impuissance face à ce fléau a été fait. Pourtant, durant toute une décennie, depuis que l'état des lieux a été établi par les structures de l'Etat et le mouvement associatif à travers une enquête nationale, de nombreuses initiatives ont été annoncées par les pouvoir publics sans pour autant donner de résultats. D'abord, une stratégie nationale de lutte contre les violences faites aux femmes lancée par l'ancienne ministre Nouara Djaafar, puis une commission chargée de sa mise en œuvre, installée hier par son successeur, Mme Souad Bendjaballah. «Nous sommes tous d'accord pour dire non à la violence à l'encontre des femmes», a-t-elle lancé devant une assistance d'avertis, précisant : «Nous sommes là pour dire que ces violences ne sont pas une fatalité mais une réalité très douloureuse, complexe et multidimensionnelle.» Des mesures à l'état de projet Cette commission, explique la ministre, est composée des représentants de différentes institutions de l'Etat «chargées de suivre la mise en œuvre des mécanismes de prise en charge, de sensibilisation, d'information et de prévention des femmes en situation de vulnérabilité». Mme Bendjaballah rappelle la démarche de son département qui repose sur trois volets : la lutte contre les violences, l'intégration socioéconomique des femmes et la lutte contre l'analphabétisme, et annonce le lancement du manuel d'alphabétisation des femmes réalisé avec l'association Iqraa. Elle a également fait état «de la formation des services sociaux et des associations et leur mise en réseau prévue en janvier prochain pour une prise en charge rapide des cas de violence signalés». Des mesures qui restent encore à l'état de projet, alors que la situation sur le terrain ne cesse de prendre de l'ampleur. Le nombre des femmes violentées avancé par la commissaire Kheira Messaoudène et le commandant de la Gendarmerie nationale, Razika Cheblel, démontrent que le phénomène des violences a pris des proportions inquiétantes ces dernière années, sans que les mécanismes censés assurer la prise en charge des victimes ne soient mis en place. Ainsi, selon Mme Messaoudène, durant les 9 premiers mois de l'année en cours, 7010 femmes ont subi des violences, dont 5034 physiques et 1673 sur ascendants. Les abus sexuels constituent 260 cas, alors que le nombre des cas d'inceste progresse même si, dit-elle, la police n'en a enregistré que trois. Pour l'officier, la catégorie d'âge la plus concernée est celle comprise entre 26 et 35 ans, avec 2050 cas, suivi de celle des 19-25 ans avec 1925 cas, puis de celle des 36-45 ans avec 1535 cas. Les femmes mariées sont 3872 à être touchées par les violences, suivies des célibataires (1953) et des divorcées (688). Litiges familiaux Les plus violentées sont celles qui ont un niveau d'instruction moyen avec 2159 cas, suivies de celles qui ont fait le lycée (1533 cas) et des sans-niveau (1439 cas). Le domicile familial est le lieu privilégié de ces atteintes avec 3368 cas, alors que la voie publique a vu se dérouler 2442 cas. Les motifs de ces violences sont liés, dans 4196 cas à des litiges familiaux, 255 cas à des mobiles sexuels et 50 cas à l'argent. La commissaire estime que le silence est le meilleur complice des violences qui, ajoute-t-elle, «doivent être l'affaire de tous et non pas uniquement les institutions de l'Etat». Abondant dans le même sens, le commandant Razika Cheblel affirme que la Gendarmerie nationale a enregistré, durant les 9 premiers mois de l'année en cours, 5193 cas de femmes victimes de violence, dont 909 ont moins de 18 ans, 1976 sont âgées entre 18 et 35 ans et 1333 sont âgées de 35 à 55 ans. Selon l'officier, 41% des victimes, soit 2119, ont un niveau scolaire moyen. Les femmes mariées représentent 2272 cas, alors que les célibataires sont au nombre de 2175 et les veuves 371. Le commandant Cheblel note par ailleurs que les femmes au foyer ont été 333 à subir des violences et les étudiantes 793. Elle précise que 81% des violences recensées ont eu lieu sur la voie publique, 18% seulement dans l'espace privé et 6% à l'intérieur des moyens de transport. Elle explique que toutes les régions du pays sont touchées par ce phénomène. «Même si au sud du pays, le nombre de cas, est très minime (6 à 7), cela ne veut pas dire que la violence n'existe pas. Dans ces régions, le tribalisme et les traditions font que les femmes ne dénoncent pas», révèle l'oratrice, en mettant l'accent sur ce chiffre noir dont a parlé Mme Messaoudène et qui concerne les femmes qui n'ont pas le droit de dénoncer leurs bourreaux et souffrent en silence. Lors du débat, les nombreuses interventions ont été axées sur les difficultés rencontrées par les victimes en matière de prise en charge de la plainte, mais aussi sur la nécessité de l'implication de tous les acteurs de la société dans la prévention contre les violences. L'après-midi, un centre d'étude, d'information et de documentation sur la famille, la femme et l'enfance a été inauguré à Alger par la ministre, Mme Bendjaballah.