Trois députés, dont un ancien ministre de son parti, démissionnent Le scandale de corruption, qui a touché des personnalités de l'entourage immédiat du Premier ministre, a ébranlé toute la Turquie. Ses adversaires politiques tentent d'exploiter ce coup de filet parmi les proches d'Erdogan pour lui donner le coup de grâce. Hier, la rue a encore grondé dans les grandes villes (Ankara et Istanbul) de Turquie, où les manifestants réclamaient la démission du chef de l'AKP, faute d'avoir sa tête par les urnes. L'emblématique place Taxim devait reprendre les couleurs de la protestation comme en juin dernier, quand la destruction d'un jardin a failli emporter dans son sillage le Premier ministre. Certains de ses opposants et même les journaux qui leur sont proches sont allés jusqu'à demander à l'armée d'intervenir pour déposer Erdogan. Mais les règles du jeu semblent avoir changé en Turquie. L'armée a en effet pondu hier un communiqué, dans lequel elle se démarque complètement de ces luttes politiques sur fond de scandales de corruption. «Les forces armées turques (TSK) ne veulent pas être impliquées dans les débats politiques» a-t-elle fait savoir, histoire de marquer son désormais territoire. Pour autant, le remaniement gouvernemental d'urgence que l'AKP d'Erdogan a opéré pour faire baisser la tension, après la démission de trois ministres éclaboussés, n'a pas suffi à étouffer l'onde de choc. Et pour cause, l'annonce, jeudi, du dessaisissement d'un des procureurs en charge de l'enquête n'est pas de nature à détendre l'atmosphère. Elle met plutôt en relief le bras de fer engagé entre la justice turque, qui tient à son indépendance, et l'Exécutif qui souhaite rester au-dessus de tout soupçon. L'armée se tient loin… Ce procureur a dénoncé des «pressions» de la police et de sa hiérarchie et a accusé la police d'avoir refusé d'appréhender une trentaine de personnes, dont des proches de la famille du Premier ministre. Ce dernier a réaffirmé, hier, être la victime d'un «complot» de «lobbies des taux d'intérêts et du chaos», exploitant son pays et ses richesses évoquant notamment «certains procureurs et magistrats». «Ce complot est une opération pour empêcher l'avènement de la nouvelle Turquie», a-t-il martelé lors d'une allocution à Sakarya (nord-ouest). En évoquant un «complot» qui le viserait lui-même, la presse turque croit savoir que l'enquête s'intéressait effectivement à l'un de ses deux fils, Bilal Erdogan, président d'une fondation, soupçonné de trafic d'influence. Bilal Erdogan la prochaine cible ? Le chef du gouvernement aurait lui-même admis son inquiétude. «La cible principale de cette opération, c'est moi», aurait-il dit à son entourage. Le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative turque, lui a infligé un camouflet en bloquant hier un décret gouvernemental controversé publié dans la foulée du scandale, obligeant la police à informer sa hiérarchie avant toute arrestation. Erdogan n'est aujourd'hui plus «insubmersible» en Turquie. Sa réussite économique risque de ne pas suffire pour maquiller ses «petites affaires» de corruption qui entachent gravement sa crédibilité et celle de son parti. La purge, qu'il a ordonnée dans les rangs des gradés de la police, coupables de ne pas avoir mis le gouvernement au courant de l'enquête qui visait les proches des ministres, est très mal perçue en Turquie. Le fait est que la fronde a touché même le clan d'Erdogan, qui a vu des députés et des ministres démissionner en signe de protestation. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, l'AKP vient de s'aliéner le soutien de la puissante confrérie de l'imam Fethullah Gülen, qui n'a pas apprécié la décision du Premier ministre de fermer les établissements de soutien scolaire, sa principale source de revenus. De là à dire que les jours de Tayyip Erdogan à la tête de la Turquie commencent à être comptés, c'est un pas que certains n'hésitent pas à franchir.