A trois mois des élections municipales et probablement des élections générales anticipées, la Turquie s'enfonce dans la crise. L'AKP, celui-là même qui a promis, en 2002, d'en finir avec la corruption des élites, est rattrapé par les affaires. Eclaboussé par l'arrestation d'une vingtaine de ses dirigeants pour « corruption, fraude et blanchiment d'argent », il enregistre des vagues de démissions. La police, qui est sur le pied de guerre à Istanbul, Ankara et dans une dizaine de grandes villes du pays, charge pour disperser les manifestants qui exigent le départ du Premier ministre et de son gouvernement. Comme en juin dernier, lors de la fronde antigouvernementale, place Taksim, à Istanbul, Erdogan renoue avec sa méthode : multiplication des meetings avec ses partisans à Istanbul pour dénoncer un « complot international » ourdi contre lui, voire « un coup d'Etat ».Quels sont les auteurs de ce « complot » ? Après avoir pointé du doigt les magistrats du Conseil d'Etat, qui ont suspendu un décret adopté, il y a quelques jours, qui impose à la police de prévenir sa hiérarchie de toute arrestation – « Si j'en avais la possibilité, je les jugerai », dit-il - et accusé son ex-allié Fethullah Gülen, un prédicateur musulman « exilé » aux Etats-Unis, d'avoir orchestré en coulisses les opérations judiciaires, il suggère à sa « presse » d'écrire que l'ambassade des Etats-Unis à Ankara est au centre de la conspiration. Comme pour calmer la rue et dissuader le procureur d'Istanbul qui s'apprête à lancer une trentaine de mandats d'arrêt pour « malversations liées à des marchés immobiliers » et un pour son fils Bilal, pour la gestion de la Fondation turque pour le service des jeunes et de l'éducation, il opère un remaniement ministériel et « pond », après avoir ordonné une purge sans précédent dans la hiérarchie de la police et installé une centaine de « ses » hommes, un décret qui impose à la police d'informer sa hiérarchie avant de procéder à des perquisitions et des arrestations ordonnées par la justice. Peine perdue. La rue continue de manifester. Pour les manifestants, la démission de trois ministres n'est pas suffisante. Ils exigent le départ du gouvernement dans son ensemble. Le Conseil d'Etat a bloqué le décret. C'est dans cette ambiance délétère qu'une rumeur de coup d'Etat militaire a été balancée. La rumeur a été si forte que la grande muette s'est sentie obligée de publier un communiqué pour dire qu'elle n'a pas l'intention de s'« impliquer dans les débats politiques ». « Le feu est plus important que ce que l'on prévoyait. Il se propage vite », écrivait, vendredi, l'éditorialiste Huseyin Gulerce, dans « Zaman », un quotidien proche de Fethullah Gulen.