Torture de prisonniers, détention sans procès, opérations ciblant systématiquement la minorité sunnite: les abus supposés des forces de sécurité irakiennes font l'objet de critiques répétées d'experts et d'ONG, qui estiment que ces pratiques favorisent la violence au lieu de l'enrayer. Des parlementaires irakiens aux organisations de défense des droits de l'homme en passant par des diplomates étrangers et des analystes, les voix se multiplient contre ces agissements, leur reprochant d'alimenter la spirale des attaques qui ont coûté la vie à plus de 6750 personnes cette année. L'Irak n'avait plus connu de tels niveaux de violence depuis 2008, lorsque le pays sortait à peine d'un conflit confessionnel dévastateur après l'invasion américaine de 2003. «Il est impossible d'ignorer le lien entre les abus des forces de sécurité et la hausse significative des violences», estime Erin Evers, spécialiste de l'Irak pour l'ONG Human Rights Watch. Selon elle, cette situation est exacerbée par la culture d'impunité qui règne chez les insurgés et les forces de sécurité. Le gouvernement, dirigé par le chiite Nouri Al Maliki, s'est félicité ces derniers mois des opérations de sécurité d'envergure ayant permis de tuer ou d'arrêter des insurgés, de démanteler des camps d'entraînement et des sites de fabrication d'armes. Mais il se voit reprocher de se concentrer uniquement sur l'aspect sécuritaire, sans tenir compte des frustrations exprimées par la communauté sunnite, qui se dit marginalisée et dénonce un usage abusif à son encontre de l'arsenal juridique antiterroriste. Les sunnites stigmatisés et ciblés Hier, la police a ainsi commencé à démanteler le plus important campement des protestataires antigouvernementaux d'Irak à Ramadi, une ville majoritairement sunnite. Des heurts meurtriers ont accompagné le démantèlement de ce sit-in, qualifié par M. Maliki de «quartier général d'Al Qaîda», et créé il y a un an, alors que démarrait une vague de protestations de la communauté sunnite. Celle-ci affirme être victime d'arrestations de masse, de détention arbitraire pendant de longues périodes et de torture dans les prisons. La torture est «un gros problème», souligne le directeur de l'Institut irakien de médecine légale (MLI), Mounjid Al Rezali. Si la plupart des sunnites, présents surtout dans le nord et l'ouest de l'Irak, ne soutiennent pas activement les insurgés, leur colère les conduit à être moins disposés à aider les autorités dans leur lutte contre les groupes armés. Le représentant de l'ONU à Baghdad, Nickolay Mladenov, a affirmé le mois dernier que les forces de sécurité irakiennes avaient besoin «d'un ré-entraînement massif (...) en relation avec les droits de l'homme, la façon de respecter les standards internationaux (...), de mener leurs opérations». Les critiques se sont étendues jusque dans les rangs des parlementaires chiites alliés à M. Al Maliki. Accusé tout bonnement de créer un «fossé confessionnel», le Premier ministre irakien semble avoir compromis durablement sa carrière politique... surtout qu'avec lui, l'Irak n'a pas avancé du tout. Bien au contraire.