Les Algériens, pris de court, se rendent progressivement à l'évidence douloureuse que les images de la Coupe du monde ne défileront pas cette fois-ci copieusement à travers leur petit écran. Cette frustration est vécue avec colère par tous ceux qui attendaient impatiemment cet événement afin de meubler un quotidien médiocre par le truchement des télés satellitaires ou, comme habituellement, par le canal de la télévision nationale. Mais voilà que pour cette version du Mondial 2006, les données ne sont plus les mêmes. La toute-puissante FIFA (qui soit dit en passant compte plus de nations affiliées que l'ONU) a décidé de changer de stratégie pour monnayer le plus grand spectacle du monde. C'est son droit. Mais force est de constater que cette instance, hier encore en phase de populariser la pratique à travers les contrées les plus pauvres et les plus reculées, se décide aujourd'hui à entrer de plain-pied dans l'affairisme, sans concession aucune pour des milliards de téléspectateurs « qui n'ont que ça pour se divertir ». Même si les responsables de la Télévision algérienne n'ont rien vu venir, l'évolution des choses était prévisible avec la montée en puissance, depuis quelques années, des chaînes cryptées qui ont désormais pignon sur rue, à coups de milliards, sur les droits de retransmission télévisée des grands événements sportifs planétaires. Nous sommes donc prévenus qu'à l'avenir l'image sera payante pour ce genre de spectacle. Pour l'heure, les Algériens n'arrivent pas à comprendre comment un pays financièrement mieux nanti que beaucoup d'autres nations ne peut pas offrir à ses concitoyens quelques dizaines d'heures de programme footballistique. Nos gouvernants doivent au moins cela à une population gavée de promesses non tenues et de désillusions renouvelées, eux qui maintiennent un verrouillage systématique sur le champ audiovisuel national, laissant libre cours aux mièvreries d'une chaîne unique au moment où chacun peut constater l'extraordinaire prolifération de chaînes satellitaires en tout genre. Même si le pouvoir algérien, jaloux de sa mainmise médiatique, joue à la sourde oreille, en quoi, par exemple, la libération de chaînes thématiques privées, notamment sportives, aurait été dérangeante ? Cela n'étant pas le cas, et dit-on pour longtemps encore, alors en quoi la dépense de 10 ou 15 millions de dollars puisés dans les 70 milliards de dollars issus des recettes pétrolières aurait pu être préjudiciable au budget de l'Etat ? La fierté nationale aurait commandé de traiter le téléspectateur algérien avec respect en lui offrant au moins, et pour quelques semaines seulement, le moyen de vivre pleinement cet événement afin d'oublier ses soucis quotidiens et non d'aller quémander chez un cheikh arabe, propriétaire d'un bouquet crypté, quelques images par lui offertes, avec condescendance semble-t-il.