A peine les quartiers de la ville de Ghardaïa ont-ils commencé à renouer avec le calme que, dans la nuit de vendredi à samedi, des échauffourées ont éclaté dans la daïra de Berriane. Le Conseil des notables de Melika (Ghardaïa) a tenu à dénoncer «les défaillances» constatées dans la protection des populations et de leurs biens lors des derniers affrontements. Nous sommes tous des Algériens», «Non à la fitna à Ghardaïa», «Je suis Mozabite, je suis Chaâmbi, je suis Algérien», «Non à la violence, non à l'impunité, oui à la tolérance», «Barakat mel djihawiya, Djazaïir wataniya», «Paix à Ghardaïa». Ce sont là quelques-uns des slogans qui ont été brandis sur des pancartes multicolores, à l'occasion d'un rassemblement qui s'est tenu, hier à 11h, place du 1er Mai. Cette action se veut un appel du cœur pour que cessent les violences qui endeuillent la vallée du M'zab depuis maintenant plus de deux mois et qui charrient, chaque jour, leur lot de morts et de destructions. Ce week-end encore, la région a été marquée par une flambée de violence, cette fois à Berriane où des commerces ont été incendiés, selon des sources locales. L'initiative a été lancée via une page facebook sous le titre «On est tous des Algériens». Les organisateurs ont, d'emblée, fait circuler un mot d'ordre appelant à une action «silencieuse», et ce, pour s'épargner les réflexes répressifs de la police. D'ailleurs – une fois n'est pas coutume – le rassemblement, qui a duré environ une demi-heure, n'a pas été réprimé. Seuls quelques véhicules légers des forces de sécurité quadrillaient la placette choisie pour ce sit-in. «Justice et vérité sur Ghardaïa» «C'est une action initiée par Hacène Ferhati, Sabrina Zouaoui et moi-même», explique Othmane Aouameur, un militant généreux, engagé sur tous les fronts, avant d'ajouter : «Nous n'avons pas de parti pris. Nous sommes des citoyens algériens avant tout. On veut que la justice et la vérité soient faites à propos de ce qui se passe à Ghardaïa et que les crimes soient punis. Certains policiers dont la partialité en faveur d'un camp est avérée doivent être sanctionnés. Nous disons non à la violence, non à l'impunité, oui à la tolérance.» Et de lancer dans la foulée : «Je suis un Arabe d'Alger et je mets une chéchia mozabite», ce que reflète, du reste, sa photo de profil sur facebook. Prenant brièvement la parole, Hacène Ferhati de SOS Disparus, entonne : «C'est une action pacifique et silencieuse. Nous sommes fatigués de la partition de l'Algérie : celui-ci est de l'Est, celui-là est de l'Ouest. Arrêtons de cultiver la discorde entre nous. Notre seul slogan est : nous sommes tous des Algériens. Y'en a marre de la division ! » Autre participant à ce rassemblement : Abdelouahab Fersaoui, président de RAJ. «Nous tenions à apporter notre soutien à cette initiative, surtout dans la situation actuelle où la cohésion nationale est menacée», nous dit-il. «Ces événements peuvent prendre des proportions dangereuses dans les jours à venir. Nous sommes là pour tirer la sonnette d'alarme. Nous appelons les autorités publiques à assumer leurs responsabilités et à régler le problème d'une manière juste et équitable. Nous défendons les valeurs de paix et de tolérance entre les Algériens dans le respect de la diversité religieuse et linguistique. Hélas, l'approche de l'Etat se réduit à des solutions financières et matérielles alors que nous avons besoin d'une solution morale», insiste-t-il. Parmi les nombreux citoyens et autres activistes qui ont répondu présent, un candidat à la Présidentielle, Amar Chekar, notre confrère de L'Expression. Une pancarte à la main, il martèle : «Nous voulons délivrer un message de paix et un appel au calme et à la prudence. Les ennemis de l'Algérie manœuvrent pour attiser la violence. Disons non à la violence. L'Algérie n'en a que trop souffert durant les années 1990. Quelles que soient nos différences, il faut condamner la violence !» Azouaou Hamou l'Hadj, porte-parole de l'association des victimes d'Octobre 1988, s'exprimant, précise-t-il, comme «simple citoyen», dira pour sa part : «Nous n'avons scandé ni slogan malékite ni slogan ibadite. Nous sommes là pour éteindre le feu de la fitna. On ne veut plus que le sang coule, que ce soit d'un côté ou de l'autre !» Toujours plus de morts Des citoyens de Ghardaïa se sont joints à la manifestation avec des pancartes au ton nettement différent, prenant clairement à partie les hautes autorités du pays dans leur gestion du conflit. Khodir Skouti, militant des droits de l'homme résidant à Ghardaïa, s'écrie : «Nous demandons à l'Etat d'arrêter le massacre des Mozabites pour faire passer son programme. Nous avons enterré encore un mort hier (vendredi, ndlr) et nous allons en enterrer un autre aujourd'hui (samedi).» De fait, un homme de 35 ans, Khaled El Hadj Saïd, a succombé à ses blessures ce jeudi après cinq jours de coma. Un autre citoyen de la région, Ben Sidi Aïssa Baba Aïssa, est décédé avant-hier d'une crise cardiaque. Selon des témoignages concordants, cet habitant de Bouhraoua, sur les hauteurs de Ghardaïa, a trouvé la mort suite au saccage de sa maison. «Son cœur a flanché. Il n'a pas supporté le choc», indique Khodir Skouti. Le bilan des victimes ne fait ainsi que s'allonger depuis le début des affrontements qui embrasent la vallée du M'zab. La situation a atteint un niveau de pourrissement tel que la région est totalement plongée dans le chaos. Le gouvernement Sellal a été incapable de résoudre cette crise qui s'installe, désormais, dans la durée. «C'est le pouvoir qui attise les foyers de tensions identitaires pour empêcher qu'il y ait un mouvement d'ensemble dans le sens du changement», estime Kader Farès Affak du MDS, qui a participé à ce rassemblement une fleur à la main. Et d'asséner : «C'est le pouvoir qui a créé les conditions de l'affrontement pour cantonner les forces du changement dans des enclaves régionales. A la veille de chaque échéance électorale importante, c'est le même scénario qui se répète.»