Dès sa prise de fonctions en avril 1999, Abdelaziz Bouteflika crie sur tous les toits de la République qu'il refuse d'être «un trois quart de Président». Mal élu en 1999, suite au retrait des six candidats, Abdelaziz Bouteflika affiche d'emblée sa volonté de s'«émanciper» de la tutelle des chefs de l'armée qui, pourtant, l'ont installé au pouvoir. Il veut marquer son territoire, lui qui garde une vieille «rancune» en raison du veto brandi par l'armée, lui barrant la route vers le palais présidentiel à la mort de son mentor, le colonel Boumediène en 1979. Homme de pouvoir, homme du pouvoir, Bouteflika cultive un ressentiment à l'égard des épaulettes étoilées. Il sait pertinemment que le renforcement de son assise à la Présidence passe nécessairement par l'affaiblissement du pouvoir prépondérant de la «grande muette». Les chefs militaires, qui venaient de sortir d'une guerre civile ravageuse, se trouvent sous les coups de feu de l'opposition et des ONG des droits de l'homme. Leur image est écornée, d'où le rappel de l'ancien ministre des Affaires étrangères aux affaires chargé de «redorer», notamment à l'international, une réputation «souillée». Rompu aux pratiques de l'intrigue, le roi procède par le chantage. Le début de règne de «l'enfant terrible» du système s'engage alors sur un terrain miné. Décidé à en découdre, Abdelaziz Bouteflika s'emploie pernicieusement à bousculer les rapports de force au sommet du pouvoir, cherchant à déplacer le centre de gravité vers El Mouradia. Non sans provoquer des tensions et des ripostes. La première réplique frappe en Kabylie – terrain favori d'affrontement à chaque secousse au sommet – en avril 2001. Une répression terrible s'abat sur cette région, faisant 126 morts, assassinés par balles. Le rééquilibre des forces en présence se déroule dans la violence. Le sang a coulé, pas uniquement sous le règne des généraux, mais aussi sous le pouvoir de Bouteflika. Un ancien général, mis à la retraite en 2005, révèle que lors de ces tragiques événements, Bouteflika aurait «ordonné au chef d'état-major, Mohamed Lamari, d'envoyer ses troupes en Kabylie, mais l'ordre n'a pas été exécuté». Le chef de l'Etat accuse le coup et laisse passer la tempête. Mais la «grande muette» sort de son silence et la grosse artillerie avec. Le 3 juillet 2002, c'est le chef d'état-major, le général Mohamed Lamari, qui se charge de la mission. Il s'adresse directement à l'opinion publique lors d'une conférence de presse improvisée à l'Académie interarmes de Cherchell (Tipasa). Ferme et virulent, Lamari tire une salve : «Pour des milieux déterminés, le mal c'est l'ANP. Même la catastrophe de Bab El Oued, c'est l'ANP. Lorsque ces accusations viennent de l'étranger, de milieux hostiles, elles sont les bienvenues, mais pas quand cela vient des Algériens eux-mêmes qui, par méconnaissance, par intérêt ou par calcul politicien, mettent tout sur le dos de l'armée.» En défendant «l'honneur» de l'institution militaire, Lamari entend «fixer» des lignes rouges à un Président conquérant. La tension s'exacerbe et la méfiance s'installe définitivement. «Il (Bouteflika) n'a aucune garantie quant à sa loyauté et vit en permanence avec la hantise du coup d'Etat. Il doit certainement penser qu'un général mal réveillé peut facilement développer une tentation putschiste. On est en plein syndrome de Néron. Prétextant le rajeunissement et la professionnalisation et fort d'un pouvoir discrétionnaire de nomination, il entreprend une opération de restructuration et de rééquilibrage où s'insinue un jeu de solidarités primordiales sournois», a analysé l'ancien parlementaire Djamel Zenati, récemment, dans les colonnes d'El Watan. 2004, la rupture L'approche de l'élection présidentielle de 2004 accélère la rupture. Le deuxième mandat de Bouteflika devait se faire sur les «décombres» des généraux. Pas tous. Consacrant son premier mandat à conquérir des espaces dans les différentes strates du pouvoir, Abdelaziz Bouteflika a réussi un «coup de maître», en dispersant les forces du «bataillon». Le bloc militaire se fissure. Entre ceux qui soutiennent, qui s'opposent à son second mandat (les «faucons», à leur tête Lamari) et ceux qui ont fait le choix de continuer le chemin avec l'enfant d'Oujda. Parmi eux, le général, le puissant général Larbi Belkheir, et le patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le général Mohamed Mediène dit Toufik. Réélu sans surprise, Bouteflika envoie à la retraite sine die «son» chef d'état-major et ses camarades. Il nomme à sa place un «fidèle», le généralissime Ahmed Gaïd-Salah. Larbi Belkheir, devenu encombrant, est «chassé» de la Présidence et exilé à l'ambassade d'Algérie à Rabat. Le crépuscule d'une longue et controversée carrière de celui qui a vendu à ses amis généraux la candidature de Bouteflika en 1998. Graduellement et de manière «méthodique», tel un Bonaparte, Abdelaziz Bouteflika se débarrasse des «janvieristes». Mais sur sa route reste le plus «mystérieux» des généraux, l'indéboulonnable Toufik. Rompu à la tactique, le patron des Services «privilégie le compromis» à l'affrontement malgré les divergences. Ce qui explique son long compagnonnage avec Bouteflika durant les trois mandats présidentiels. Une «entente» qui ne résiste pourtant pas aux contradictions à l'intérieur du système. D'aucuns ont vu dans l'étalage des scandales de corruption, qui mettent en cause les hommes du clan présidentiel, une guerre ouverte entre les deux centres de pouvoir. Présidence et DRS. Les révoltes arabes et la maladie du Président inversent les rapports de force au sein du régime. Le remue-ménage opéré au sein de l'ANP, fin 2013, signe l'accélération de l'histoire et précipite la fin d'un deal.