Les heurts ont repris mardi à Kiev après plusieurs semaines d'accalmie, à l'occasion d'un défilé en direction du Parlement, qui a dégénéré en affrontements entre l'opposition et les forces de l'ordre postées devant les accès au quartier gouvernemental. Les violences ont été suivies dans la soirée par un assaut des forces spéciales antiémeute, équipées de blindés, contre l'épicentre de la contestation. Celui-ci a été lancé dans la fumée des incendies et des feux de pneus au centre de Kiev sur le Maïdan, la place de l'Indépendance. L'intervention a fait plusieurs morts. Le ministère de la Santé a fait état de 25 morts depuis le regain de violences à Kiev mardi, et de 241 blessés hospitalisés dont 79 policiers et 5 journalistes. Au moins 10 policiers figurent parmi les victimes, selon le ministère de l'Intérieur. Un journaliste ukrainien a aussi été tué par balle, a indiqué son journal. La raison de la reprise des «hostilités» ? L'opposition a accusé une nouvelle fois le pouvoir de céder aux pressions de la Russie, qui a octroyé en décembre à l'Ukraine, au bord du défaut de paiement, un crédit de 15 milliards de dollars, dont 3 milliards ont déjà été versés et un important rabais sur le prix du gaz. Celle-ci s'impatiente aussi du fait que les négociations sont au point mort, qu'il s'agisse d'une réforme constitutionnelle réduisant les pouvoirs du Président ou de la formation d'un nouveau gouvernement. Mais à l'origine, la contestation est née de la volte-face en novembre du pouvoir ukrainien qui a renoncé à un rapprochement avec l'Union européenne pour se tourner vers Moscou. Après avoir mobilisé des centaines de milliers de personnes, elle s'est transformée au fil des semaines en un rejet du régime du président Viktor Ianoukovitch. De nombreux observateurs soutiennent aussi que ce qui se passe actuellement à Kiev est surtout le résultat d'une nouvelle guerre froide entre l'Occident et Moscou qui considère l'Ukraine comme sa profondeur stratégique. Tentative de coup d'état Réagissant à ces nouveaux développements, la Russie a dénoncé une «tentative de coup d'Etat» et exigé des leaders de l'opposition qu'ils fassent cesser les violences. Moscou a, à plusieurs reprises, accusé les Occidentaux d'être responsables de cette situation. Le porte-parole du Kremlin a indiqué que MM. Poutine et Ianoukovitch s'étaient parlé au téléphone dans la nuit de mardi à mercredi. Il a pris soin de préciser que le président russe ne donnait pas de conseils à son homologue ukrainien. Ce dernier a accusé les chefs de l'opposition, en s'adressant à la nation en pleine nuit, d'avoir «franchi les limites» en appelant, selon lui, à une «lutte armée» pour prendre le pouvoir. Il a assuré que les coupables «comparaîtraient devant la justice». Le président Viktor Ianoukovitch a décrété une journée de deuil national aujourd'hui. Dans le même temps, les services spéciaux ukrainiens (SBU) ont annoncé, hier, l'ouverture d'une enquête pour tentative de prise illégale du pouvoir visant «certains hommes politiques», sans autre précision. Les Européens ont, pour leur part, nettement haussé le ton hier et brandi la menace de sanctions contre les responsables de la répression en Ukraine. Une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l'UE doit avoir lieu aujourd'hui, et le chef de la diplomatie polonaise a été désigné pour se rendre sur place au nom des Européens. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a dit espérer que les Etats membres, divisés sur cette question, arrivent à «se mettre d'accord dans l'urgence sur des mesures ciblées contre les responsables de la violence». De son côté, l'ONU a réclamé une enquête «urgente et indépendante» sur les violences. Malgré les nombreux appels au calme, manifestants et policiers continuaient de se faire face hier sur la place de l'Indépendance, qui offrait un spectacle de dévastation. Le gouvernement ukrainien a, rappelle-t-on, imposé dès mardi une sorte d'état d'urgence qui ne dit pas son nom : le métro de Kiev a été fermé et les autorités ont annoncé que le trafic routier en direction de la capitale serait «limité» à partir de minuit, afin d'éviter «l'escalade des violences». Le président Ianoukovitch a exigé que les manifestants évacuent le Maïdan, ont déclaré les leaders de l'opposition, après l'avoir rencontré mardi soir. Les violences menacent désormais de s'étendre au reste de l'Ukraine. A Lviv, un bastion de la contestation dans l'Ouest, les manifestants ont pris d'assaut les sièges de l'administration régionale et de la police, ainsi que des bâtiments militaires. A l'issue d'affrontements, quelque 5000 manifestants ont pris le contrôle des dépôts d'armes. Ce qui n'augure absolument rien de bon.