Pourquoi se moque-t-on de la carrière musicale du secrétaire général du FLN ? Si beaucoup s'élèvent contre l'attitude «méprisante» vis-à-vis des «drabkis», il est à admettre que Amar Saâdani est une figure hors normes du paysage politique algérien. C'est peut-être un instrument moins glamour que le saxophone de Bill Clinton ou le piano de Condolezza Rice mais il fait partie intégrante du terroir algérien. La derbouka, que jouait Saâdani à El Oued est aujourd'hui vilipendée par tous ceux qui contestent la légitimité du secrétaire général du FLN. Dans un post publié sur son blog sous le titre «Ne jetez pas le drabki avec l'eau du bain», Mourad Preure, expert pétrolier et grand amateur de musique chaâbie s'élève contre le ton qu'il juge «méprisant» vis-à-vis des Drabkis. «L'impopularité de Saadani provoque, estime-t-il, des propos peu amènes à l'égard de cette corporation». Il ajoute: «Quant à savoir si M. Saadani est à la hauteur de son destin, ça c'est une autre histoire !». L'auteur rappelle le «rôle essentiel» du joueur de derbouka dans l'orchestre châabi : il est responsable, dit-il, du rythme dans un genre musical où l'improvisation joue un rôle important. «On donne au joueur de Derbouka, précise Mourad Preure, le titre valorisant de mouazni, l'homme qui tient le rythme». Le pilier de l'orchestre Le joueur de derbouka est, en effet, très respecté dans tous les orchestres qui composent la musique algérienne. Le chanteur Didine Karoum le considère comme le «pilier» de l'orchestre. Il nous parle avec tendresse de Zinou surnommé «le prince de la percussion», disparu l'année passée, qui était, à ses yeux, le plus grand drabki algérien. Le cardinal Hadj M'hamed El Anka aurait lui-même débuté sa carrière en tant que drabki, dans l'orchestre de l'un de ses maîtres, cheikh Mustapha Nador. «Et pourquoi donc un musicien jouant de cet instrument serait-il congénitalement incapable d'un destin exceptionnel», interroge Mourad Preure. Peut-on être drabki et homme politique? Le site Algérie patriotique qui avait dressé un portrait peu amène du secrétaire général de l'ex-parti unique, semble considérer les débuts de carrière d'Amar Saâdani comme une tare. A en croire ce journal électronique, Amar Saïdani, qui était alors président de la Chambre basse, se montrait «offusqué» par le surnom de «drabki» qu'on lui donnait dans les couloirs du parlement. Il se serait lancé, peut-on lire dans l'article en question, dans la chasse de son passé jugé «compromettant» en créant une petite brigade à El Oued pour récupérer et mettre à l'abri les clichés, les photos et les vidéos de ses prestations. Le journal électronique va plus loin : «Contrairement à ce qui se raconte sur sa préférence pour la derbouka, peut-on y lire, dont on dit qu'il était doué, c'est vers le chant et la danse qu'Amar se destine». Sur un autre registre, le rappeur Azzou Hood Killer a lui aussi décoché, des flèches à l'encontre du secrétaire général du FLN, mettant en avant son passé de percussionniste. Il affirme à ce propos qu'à aucun moment, il n'a voulu malmener les drabkis : «Je ne suis pas opposé au fait qu'un artiste fasse de la politique, affirme-t-il. Mes propos sont destinés à Saâdani qui, à mon avis, devrait reprendre sa derbouka car il serait bien plus utile dans un orchestre que sur la scène politique dans laquelle il dit n'importe quoi». Kaid Ahmed, Chadli Bendjedid et les autres Le fait est qu'en dehors de sa carrière de musicien, le secrétaire général du FLN n'a pas particulièrement brillé par ses compétences. Force est d'admettre que Amar Saâdani reste une figure hors normes dans le paysage politique algérien. Le politologue Rachid Grim a beaucoup de mal à citer une personnalité politique algérienne de haut rang qui aurait un profil aussi caricatural. «Il y a bien, explique-t-il, le cas de Kaïd Ahmed à la fin des années 60 et le début des années 70 qui était à la tête de l'appareil du parti FLN et qui était célèbre pour ses déclarations à l'emporte-pièce (« l'Algérie était au bord du précipice, et elle a fait un pas en avant», «le plan quadriennal on le réalisera, même si on doit mettre dix ans pour le faire», etc.)Mais le commandant Slimane n'avait absolument rien du drabki/danseur farfelu mis à la tête du FLN par plus farfelus que lui. Personne ne peut remettre en cause l'intelligence de Kaïd Ahmed, tant dans son itinéraire de militant de la cause nationale, d'homme d'Etat de l'Algérie indépendante, ou d'opposant à la politique de révolution agraire de son mentor Boumediène». Rachid Grim évoque aussi Chadli Bendjedid qui fut pendant toute une décennie président de la République algérienne, à la tête de laquelle, affirme le politologue, il n'avait pas brillé par son intelligence, ni par sa compétence. «On peut sans beaucoup se tromper mettre sur son compte (et celui des hommes et femmes qui l'ont entouré) la descente aux enfers du pays. Mais là encore, il n'y a pas photo : si Chadli n'était pas une lumière en matière de stratégie politique, il avait la sagesse de se comporter dignement et de ne pas s'exprimer à tort et à travers», souligne Rachid Grim, en rappelant que bien des blagues ont circulé sur son compte, mais aucune ne remettait en cause son sérieux et son intégrité morale. D'autres exemples ? «Il y bien quelques partis politiques (et leurs chefs) issus des réformes post-Octobre 88 qu'on peut qualifier de folkloriques mais aucun n'a atteint le niveau de Saadani», souligne Rachid Grim pour qui le SG de l'ex-parti unique est une identité remarquable dans les rang des hommes politiques algériens, selon lui, parfaitement incompétents, mis à la tête du plus grand parti politique du pays par ce qu'il nomme des «apprentis sorciers» que seul intéresse «le maintien à la tête de l'Etat d'un président complètement diminué physiquement et psychiquement, mais qui est la garantie pour eux de la sauvegarde du système de prédation mis en place depuis 1962». Les drabkis que nous avons approchés n'ont pas souhaité s'exprimer sur la question.